Changer les façons de faire

L’Opération Urgence Habitation vise les objectifs suivants :

  • Accroître l’offre de logements en visant principalement les différents segments du logement abordable.
  • Mettre en place différentes stratégies permettant de limiter ou d’éliminer les pressions inflationnistes sur les coûts du logement.
  • Mobiliser les ressources humaines et financières nécessaires à l’atteinte de ces objectifs.
  • Contribuer aux objectifs de densification du territoire urbain et de protection de l’environnement.

L’une des principales contraintes dans la poursuite de ces objectifs réside dans la grande complexité de la chaîne de valeur du secteur de l’habitation. Cette chaîne de valeur comprend notamment :

  • les autorités monétaires et les institutions financières ;
  • les gouvernements du Canada et du Québec, sur les plans de la définition, de la mise en œuvre et du financement des politiques publiques ;
  • les municipalités, par leurs interventions réglementaires et leurs offices d’habitation ;
  • les OSBL et les coopératives d’habitation qui sont des acteurs incontournables en matière de développement et de gestion des logements abordables ;
  • les promoteurs et les gestionnaires immobiliers actifs dans le secteur de l’habitation ;
  • les entreprises du secteur de la construction et de la rénovation résidentielle ;
  • ainsi que les ménages locataires et propriétaires occupants.

Dans une chaîne de valeur aussi complexe, confrontée à une situation de crise où l’offre de logements n’arrive pas de façon chronique à satisfaire la demande, chacun des intervenants a tendance à renvoyer la balle aux autres. C’est en grande partie parce que le programme Corvée Habitation est parvenu, dans les années 1980, à réduire ces frictions institutionnelles et à mobiliser les ressources humaines et financières, qu’il a réussi à faire démarrer les mises en chantier plus rapidement que partout ailleurs au Canada. Il a été une réponse mobilisatrice à la décision d’Ottawa de mettre un terme à sa contribution au financement.

Il faut donc impérativement réfléchir à une véritable réingénierie des opérations de cette chaîne de valeur pour, à terme, atteindre les objectifs d’Urgence Habitation. Il s’agit là d’un défi majeur qui va inévitablement prendre du temps, du temps qui n’est pas conciliable avec l’urgence de la situation. Il faut donc des mesures à portée plus immédiate, dont la mise en œuvre va exiger un véritable sentiment d’urgence partagé, dans un cadre d’action mobilisateur, par les acteurs concernés et traduisant leur réelle volonté de changer leurs façons de faire.

Sans entrer dans les détails, deux de ces mesures s’imposent d’emblée :

  1. Premièrement, les gouvernements et les acteurs concernés doivent mettre en place des mécanismes de financement qui vont dégager les ressources financières nécessaires pour accroître l’offre de logements abordables. Ce financement doit bien sûr provenir en bonne partie des gouvernements eux-mêmes, dans le respect de leurs contraintes en matière de gestion de la dette. Mais il doit aussi s’accompagner de contributions spécifiques provenant des grands réservoirs de capitaux québécois, incluant les caisses de retraite, les fonds de travailleurs et de travailleuses, les coopératives, etc. Dans un cas comme dans l’autre, tous les acteurs concernés doivent s’associer dans un effort d’invention et de mise en œuvre d’outils financiers et fiscaux adaptés à ce contexte d’urgence.
  2. Deuxièmement, l’ensemble des administrations publiques (incluant les gouvernements du Canada et du Québec, ainsi que les municipalités) doivent impérativement revoir leurs priorités et faire primer l’urgence dans le déploiement de leurs programmes d’investissements. En reportant ou en allongeant le calendrier de certains investissements, il est possible de « faire de la place » aux urgences en matière d’habitation. Une telle stratégie permettra de mieux focaliser les budgets d’immobilisation, de faciliter la gestion de la dette, de dégager des ressources humaines qui seraient autrement affectées à d’autres projets, en plus de faciliter la planification des entreprises dont les carnets de commandes seraient autrement surchargés. En l’amorçant immédiatement, il faudra quelque temps avant de compléter ce virage. Mais il permettra de dégager graduellement une marge de manœuvre actuellement inexistante. Un autre avantage d’un tel rééquilibrage est de réduire les effets inflationnistes qu’un ambitieux programme d’investissements en logement abordable pourrait aggraver.
  • Plusieurs autres mesures doivent s’intégrer dans une opération Urgence Habitation. Pour en illustrer la pertinence et la portée, il faut réfléchir dans le contexte de l’aménagement de nouveaux ensembles résidentiels d’envergure dans les villes du Québec. Plusieurs projets sont envisageables pour densifier et valoriser de vastes terrains intégrés dans les trames urbaines, dont un grand nombre appartiennent à des propriétaires uniques, incluant les gouvernements et les municipalités. Dans le cas de Montréal, par exemple, les sites de l’Hippodrome, de Louvain et de Lachine-Est viennent à l’esprit. Lorsqu’ils sont détenus par les pouvoirs publics, il est possible d’en planifier le développement en mettant en place une nouvelle génération de leviers :
  • En constituant des fiducies foncières, dont plusieurs exemples existent déjà en Europe, il est possible de limiter les effets spéculatifs associés aux projets immobiliers résidentiels et de contrer une partie des pressions inflationnistes sur le logement, en particulier dans le domaine du logement abordable. Une telle formule permet aux autorités publiques de conserver la propriété du foncier, tout en attribuant des droits de développement immobilier résidentiel à des promoteurs ou à des OSBL en habitation.
  • En mettant en place des districts énergétiques à l’échelle de tels nouveaux quartiers, il est possible, à l’occasion des travaux d’aménagement des infrastructures souterraines, d’installer des réseaux de distribution de chaleur et de froid. De tels réseaux auront le double avantage de répondre à la crise climatique et de réduire les coûts en énergie. En rendant conditionnel au raccordement à ces réseaux l’octroi de permis de construction et en faisant aux promoteurs l’obligation de conclure un contrat d’achat à long terme d’énergie thermique, de tels districts deviendront des outils d’optimisation du développement urbain. Le coût de construction de ces immeubles sera allégé en évitant aux promoteurs l’installation de coûteux équipements de chauffage et de climatisation, tandis que les coûts d’entretien seront pris en charge par l’opérateur du district énergétique, qui peut de son côté bénéficier d’importantes économies d’échelle. Non seulement cette formule permet-elle d’alléger les budgets de construction et d’entretien du cadre bâti, mais elle peut également s’inscrire dans le cadre de l’aménagement d’un écoquartier à toutes fins utiles carboneutre, si la production de chaleur et de froid n’émet pas de gaz à effet de serre et si les immeubles construits le sont selon les normes LEED.

En fait, une telle approche intégrée d’aménagement d’écoquartiers carboneutres constitue l’un des meilleurs leviers pour alléger les pressions inflationnistes à moyen et long terme dans l’économie québécoise (en y intégrant des projets d’agriculture urbaine, des circuits courts d’économie circulaire, des formes de transport actif ou par navettes reliées aux réseaux de transport collectif, etc.). Elle permettra d’inscrire l’accroissement de l’offre de logements dans un nouveau paradigme. Couplé à d’autres mesures de rénovation du parc existant, Urgence habitation fournirait une réponse structurante pour faire converger objectifs économiques, sociaux et environnementaux.

    Ces quelques exemples suffisent à rendre aussi plausible que nécessaire l’exploration de nouvelles pistes qui permettront aussi bien l’action à court terme que la construction d’une cohérence de développement fixée tout autant sur les objectifs de société que sur les considérations de marché. La crise du logement peut ainsi être considérée comme un aspect de la crise climatique. Les solutions pour l’une doivent aussi servir de réponses pour l’autre.

    C’est ce à quoi s’attaquera la prochaine note.

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