Le prix du homard d’Amérique au Québec : contexte et perspectives pour 2024

Léonard Marcoux

Gabriel Bourgault-Faucher

Chercheurs à l’IRÉC

Des prix volatils malgré les bonnes saisons

En 2023, le prix moyen au débarquement du homard d’Amérique s’est établi à 16,31 $ le kilogramme. Ce prix est légèrement inférieur à la moyenne observée au cours des deux dernières décennies. En effet, de 2000 à 2022, la moyenne des prix au débarquement, ajustée à l’inflation, a été de 16,39 $ le kilogramme. Toutefois, une analyse plus fine des prix au cours de cette période révèle, dans l’ensemble, leur volatilité. En moyenne, les prix annuels moyens au débarquement varient de plus ou moins 3,15 $ d’une année à l’autre (écart-type). Cette variation pose un risque pour la rentabilité de cette pêche commerciale, considérant la minceur de ses marges de profit.


Source : compilation de l’IRÉC[1]

En 2020, par exemple, le prix moyen au débarquement avait subi les conséquences de la pandémie en plongeant à 12,38 $ le kilogramme. Il atteignait alors à peine le seuil de la rentabilité pour les homardiers[2]. Pourtant, la saison suivante leur réservait une hausse de 7,60 $, un record dans l’histoire récente de cette pêcherie. Similairement, entre 2009 et 2014, les prix ont stagné autour de 12,14 $ le kilogramme, avant de remonter en flèche en l’espace de deux saisons seulement. Ce creux conjoncturel était dû, en l’occurrence, à la saturation de l’offre en homard en Amérique du Nord[3]. Les débarquements élevés aux États-Unis et la quasi-parité des devises américaine et canadienne durant cette période ont durement touché le marché d’exportation de cette marchandise[4]. En définitive, c’est par une combinaison de la conjoncture de l’économie mondiale et des quantités globales pêchées dans les régions de l’Atlantique Nord que sont provoquées les chutes et les flambées de ces prix[5].

Un produit d’exportation... populaire ici

De manière plus générale, la formation du prix au débarquement du homard québécois est le fruit de la complexité de sa structure de mise en marché. Commercialisé vivant ou transformé, en circuit court ou par la grande distribution, la chaîne d’approvisionnement de ce crustacé implique plusieurs acteurs, domestiques comme étrangers, susceptibles d’affecter chacun à leur manière le cours de l’offre et de la demande. En effet, qu’il soit pêché par des Bas-Laurentiens, des Gaspésiens, des Nord-Côtiers, ou des Madelinots, les consommateurs peuvent se procurer le homard directement auprès des pêcheurs. Cela dit, il passe le plus souvent entre d’autres mains avant d’aboutir dans nos assiettes, que ce soit des usines de transformation, des courtiers, des grossistes ou des détaillants (supermarchés, poissonneries, restaurants, etc.). Dans les faits, la majeure partie du homard transige par les usines de transformation du Québec maritime. Par exemple, 83 % du homard pêché en 2019 fut acquis par ces établissements[6]. Une telle proportion témoigne de la place prédominante qu’occupent ces acteurs industriels dans la dynamique de mise en marché.

Enfin, il est crucial d’indiquer que le homard québécois est un important produit d’exportation. De 2015 à 2019, la valeur de ce marché augmentait globalement, passant de 96 à 118 millions de dollars, avant de chuter à 80 millions de dollars en 2020, en raison de la pandémie[7]. Cependant, si l’on compare les quantités annuellement débarquées aux quantités exportées[8], il est possible de constater que la part des exportations suit une tendance à la baisse durant cette période. En 2015, les quantités exportées équivalaient à 59 % des quantités pêchées alors qu’elles étaient de 43 % quatre ans plus tard. La croissance des ventes au Québec, notamment dans les grands magasins, expliquerait en partie cette tendance à la domestication de l’industrie du homard[9]. Le programme d’identification du homard gaspésien, développé depuis 2011 par le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie (RPPSG) en partenariat avec Aliments du Québec dans le but de mieux démarquer le produit sur le marché intérieur, a certainement eu un impact lui aussi[10].


Source : compilation de l’IRÉC[11]

Il n’en demeure pas moins que le commerce d’exportation conserve une emprise significative sur la variation des prix au débarquement du homard au Québec. Les États-Unis, en tant que partenaire économique principal du Canada, ont historiquement été la destination de la vaste majorité des exportations québécoises de homard. De 2015 à 2020, 91 % de la valeur des exportations internationales de homard du Québec provenait de ce pays[12]. Le marché de Boston est donc une force majeure dans la détermination des prix au débarquement. Dans la pratique, son cours saisonnier est même utilisé comme référence lors de la négociation de la convention de mise en marché du Plan conjoint des pêcheurs de homard des Îles-de-la-Madeleine. Responsables de 62 % des quantités pêchées annuellement au Québec maritime, les pêcheurs des Îles ont un effet de contagion sur les prix au débarquement enregistrés ailleurs[13].

À l’aube de la saison 2024, le marché d’exportation pourrait connaître un nouvel élan. Capturant historiquement plus de homard que son voisin du Sud, le Canada connaît une appréciation de la quantité de ses débarquements depuis un peu plus d’une décennie[14]. Or, la biomasse disponible dans le golfe du Maine, d’où proviennent 80 % des captures américaines, est en train de décroître. Selon un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO), cette chute des débarquements américains exercera une pression à la hausse sur l’importation des captures du Saint-Laurent[15]. À la vue de ces conditions, les exportations vers les États-Unis conserveront ainsi vraisemblablement leur importance pour la pêcherie québécoise de homard. Plus largement, c’est le centre de gravité économique de cette pêcherie qui est appelé à se modifier au cours des prochaines années.

Les pêches se concentrent de plus en plus autour du homard d’Amérique

Au cours des quinze dernières années, les débarquements de homard ont connu une augmentation phénoménale, autant en quantité qu’en valeur. De 2009 à 2023, les quantités débarquées sont passées de 3 711 à 13 777 tonnes alors que la valeur de cette pêcherie est passée de 45,2 à 224,7 millions de dollars (constants), ce qui représente une croissance de 397 %. Devant cette situation, il n’est aucunement surprenant de constater que le homard d’Amérique est désormais la pêcherie la plus lucrative au Québec maritime, ayant détrôné depuis peu le crabe des neiges.

Source : compilation de l’IRÉC[16]

La pêche au crabe des neiges a été, en valeur, la plus importante au Québec, de 2009 à 2019, représentant en moyenne 42 % des débarquements. Depuis 2020, c’est toutefois le homard d’Amérique qui s’est imposé en tant que principale pêcherie. De 2020 à 2022, le homard représente en effet, en moyenne, 45 % de la valeur des débarquements. En 2023, notamment en raison de l’effondrement du prix du crabe des neiges sur les marchés mondiaux[17], le homard s’est arrogé 66 % de la valeur totale des débarquements au Québec maritime.

Conclusion

Profitant de conditions écosystémiques favorables et de mesures de gestion responsables, la biomasse de homard d’Amérique est en augmentation dans le Saint-Laurent. Tant et si bien que le crustacé est de plus en plus abondant dans des eaux qui ne lui étaient pas ou peu hospitalières auparavant, comme dans l’estuaire et le nord du golfe. En définitive, les homardiers ont répondu à ces conditions en misant davantage sur l’accroissement de la quantité des captures, écoulé au Québec et aux États-Unis, que sur la stabilité des prix obtenus pour celles-ci. Bon an mal an, cette tactique a jusqu’à présent permis une appréciation globale de leurs revenus. Dans les prochaines années, il faut s’attendre à ce que les débarquements de homard d’Amérique continuent d’augmenter, à mesure que de nouvelles pêcheries commerciales ouvriront au Bas-Saint-Laurent, dans le nord de la Gaspésie et sur la Côte-Nord.

[1] Pour les années 2000 à 2021, les données viennent des débarquements des pêches maritimes (Quantités par province et Valeurs par province) du MPO. Pour 2022, la quantité et la valeur des débarquements viennent de Gagné, G. (2022). « Pêche au homard : une autre saison remarquable en matière de prises et de revenus », Pêche Impact, 12 décembre, [en ligne], tandis que pour 2023 elles viennent de Gagné, G. (2023). « Homard : une année remarquable en matière de débarquements », Pêche Impact, 18 décembre, [en ligne]. Notons que pour ces deux dernières années, les données sont provisoires. Enfin, les prix ont été ramenés en dollars constants avec pour base de calcul l’année 2023, à l’aide de la feuille de calcul de l’inflation de la Banque du Canada.

[2] Chapdelaine de Montvalon, P. (2020). « Les pêcheurs de homards de la Gaspésie évitent le pire », Radio-Canada, 19 juillet, [en ligne].

[3] MPO (2013). Perspectives économiques des pêches commerciales du Canada Atlantique 2013, [en ligne], p. 1.

[4] MAPAQ (2017). Monographie de l’industrie du homard au Québec, [en ligne], p. 22 et MPO (2012). Perspectives économiques des pêches commerciales du Canada Atlantique 2012, [en ligne], p. 1.

[5] MAPAQ (2014). L’industrie du homard au Québec – Comprendre l’évolution du prix au débarquement et ses différents déterminants, [en ligne], p. 6

[6] MAPAQ (2022). Portrait-diagnostic sectoriel de l’industrie du homard au Québec, [en ligne], p. 10.

[7] Ces données sont ici en dollars courants ; Ibid., p. 14.

[8] Il convient d’interpréter avec prudence ces données, puisque les quantités débarquées sont exprimées en poids vif (homard entier vivant) tandis qu’une part des quantités exportées est transformée (homard cuit, décortiqué, en chair, etc.). Le poids cumulé de telles marchandises n’est donc pas directement comparable à celui des captures.

[9] MAPAQ (2022). Op. cit., p. 15.

[10] Marinier, L. (2021). Identification et traçabilité : pour une meilleure valorisation des produits du Saint-Laurent sur le marché québécois, IRÉC, [en ligne], p. 15.

[11] Les quantités pêchées viennent des données sur les débarquements des pêches maritimes (Quantités par province) du MPO, tandis que les quantités exportées viennent de MAPAQ (2022). Op. cit., p. 14.

[12] Ibid., p. 14.

[13] Ibid., p. 6, 9 et 12.

[14] Voir les débarquements des pêches maritimes (Quantités par province) du MPO.

[15] FAO (2023). « Reduced US landings will open new opportunities for Canadian suppliers », Globefish, 25 octobre, [en ligne].

[16] Cette compilation vient de données fournies par le MPO, Division de la statistique et des permis, région du Québec. Les données de 2021-2022-2023 sont encore considérées comme préliminaires.

[17] Voir Marcoux, L. et Bourgault-Faucher, G. (2024). Le prix du crabe des neiges au Québec : contexte et perspectives pour 2024, IRÉC, [en ligne].

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