Pour une Opération Urgence Habitation

À l’instar de ce qui prévaut ailleurs sur notre continent, la société québécoise doit mobiliser ses ressources pour faire face à deux crises majeures : la crise climatique et la crise du logement. Ces deux crises ne sont pas conjoncturelles et ne disparaîtront pas comme par magie avec le retour du beau temps. Elles sont structurelles et sont là pour demeurer, à moins d’y trouver des solutions durables. Elles pointent des enjeux qui vont définir le sort des générations montantes et futures.

En fait, ces deux crises confrontent le Québec à deux urgences : l’urgence climatique et ce que nous appellerons l’urgence habitation. Il est important de bien distinguer ce qui peut être défini comme une priorité de ce qui constitue une urgence. Le Québec établit ses priorités sur la base de ce qu’il souhaite maintenir ou faire advenir, et fixe ses actions en conséquence. La notion d’urgence est différente : elle renvoie à une exigence d’action immédiate et s’impose d’emblée comme impossible à reporter. Il y a toutefois un lien important entre ces deux notions : l’une des meilleures façons de voir surgir des situations d’urgence est, pour une société, de négliger ou de reporter la mise en œuvre de priorités critiques.

Dans cette note, nous aborderons l’urgence en habitation. Nous reviendrons sur l’urgence climatique dans une note suivante.

En 1982, c’est l’urgence créée par la récession, davantage que celle intrinsèquement liée au logement, qui a motivé l’impressionnante mobilisation québécoise autour du programme Corvée Habitation. En 2023, l’urgence provient intrinsèquement de la crise du logement. En outre, cette urgence se manifeste alors que l’économie du Québec est en pénurie de main-d’œuvre. Même en matière de ses priorités de politiques publiques (en santé ou en éducation, par exemple), le Québec se trouve à court de ressources pour atteindre des objectifs pourtant bien définis et généralement bien acceptés.

La crise du logement vient rajouter ses impératifs et sa logique spécifique à cette situation. Elle renvoie à des défis particuliers en matière de stratégies d’investissements publics et de mobilisation de la société civile. On pourrait à juste titre croire que des politiques publiques appropriées, soutenues sur de longues périodes par une mobilisation adéquate des ressources, auraient dû prévenir les situations d’urgence comme celle qui se manifeste actuellement en matière d’habitation. Malheureusement, tel n’a pas été le cas, au Québec comme ailleurs.

C’est dans ce contexte de rattrapage et de correction que les administrations publiques de tous les niveaux doivent réévaluer leurs choix à court terme en matière d’investissements publics, de transferts financiers et fiscaux, de mobilisation des ressources. À défaut d’effectuer de tels choix, une partie croissante des ménages québécois se retrouvera dans des situations de grande précarité en matière d’accès au logement (les taux d’inoccupation des logements privés au Québec étaient descendus à 1,7 % à la fin de 2022 pour l’ensemble des municipalités de 10 000 habitants ou plus) et de coûts du logement (en combinant l’effet de l’inflation dans le logement locatif privé avec celui des hausses récentes des taux hypothécaires).

La combinaison de pénurie de logements et de pénurie de main-d’œuvre risque fort de compromettre plusieurs ambitions économiques québécoises. À titre d’exemple, comment le Québec pourra-t-il atteindre son objectif de développer une filière du lithium dans la région de Trois-Rivières et Bécancour, s’il ne dispose ni d’une main-d’œuvre suffisamment qualifiée, ni d’un parc de logements en mesure de l’accueillir ?

C’est à une opération de grande envergure – que nous appellerons l’Opération Urgence Habitation – que le Québec est maintenant convié. Tout comme en 1982 avec Corvée Habitation, le contexte d’urgence doit s’accompagner d’une vaste mobilisation de l’ensemble de la société québécoise. Mais les termes et les exigences d’Urgence Habitation doivent être définis différemment.

  • Le Québec et le Canada doivent revoir en profondeur leurs stratégies et leurs priorités d’investissements pour faire de la place aux investissements publics et privés qui devront animer Urgence Habitation. Cela suppose nécessairement de ralentir le rythme des investissements dans d’autres secteurs pour rapidement libérer les ressources humaines et financières nécessaires pour répondre à la crise du logement qui sévit au Québec et dans les autres provinces et territoires du Canada.
  • Alors qu’en 1982 l’impact principal de la relance des mises en chantier s’était fait ressentir dans le domaine des maisons unifamiliales et des conditions d’accès à la propriété, les solutions actuelles doivent se concentrer sur la construction et la rénovation d’immeubles multi-logements abordables, principalement locatifs. L’urgence actuelle porte maintenant bien davantage sur l’accès au logement comme tel, plutôt que sur l’accès à la propriété, même si l’un n’empêche pas l’autre.
  • Urgence Habitation doit contribuer aux objectifs québécois en matière de densification du développement urbain, notamment en évitant d’aggraver la crise climatique par des stratégies qui pourraient alimenter l’étalement urbain, l’érosion du territoire agricole et la destruction des écosystèmes et de leur biodiversité.
  • Il est difficile d’imaginer qu’il sera possible d’obtenir, dans le contexte actuel, des contributions financières des travailleurs et des entreprises de la construction équivalentes à celles qui ont été au cœur de Corvée Habitation. Toutefois, à la différence de 1982, la présence de leviers tels que les fonds fiscalisés (fonds de travailleurs et du mouvement coopératif), de même que les capitaux des caisses de retraite, permettent de définir des approches de financement mobilisatrices, à la condition qu’ils soient appuyés par des politiques publiques et par des instruments financiers adaptés aux réalités des entreprises.
  • La crise actuelle du logement se manifeste d’abord et avant tout dans le domaine du logement abordable. À cet égard, les offices municipaux d’habitation, les OSBL en habitation, ainsi que les coopératives d’habitation doivent jouer dans Urgence Habitation un rôle beaucoup plus stratégique qu’ils ne l’ont fait en 1982. Particulièrement dans le secteur du logement communautaire, l’un des objectifs centraux de l’opération doit être de contrer la précarité financière des organismes en cause.
  • Les autres acteurs à mobiliser dans cette nouvelle approche sont dans le monde municipal québécois. Leur contribution dans Corvée Habitation demeurait tout compte fait modeste – une subvention optionnelle de 1 000 $ par unité de logement. Or, tant par les offices municipaux que par leurs politiques en matière de logement et d’aménagement, les municipalités doivent être en première ligne de toute opération Urgence Habitation. Pour ce faire, elles devront, tout d’abord, revoir impérativement leurs priorités actuelles d’investissements, mais, également, disposer des ressources nécessaires pour appuyer l’augmentation de l’offre de logements abordables sur leurs territoires respectifs sans exacerber les pressions inflationnistes dans le secteur immobilier résidentiel.

Dans la prochaine note, nous aborderons les mesures que l’ensemble de ces acteurs peuvent prendre en matière de politiques publiques et de mise en place de certains leviers permettant de réaliser rapidement des projets concrets permettant d’accroître l’offre et la qualité des logements abordables au Québec.

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