Urgence climatique et Urgence habitation : Des objectifs complémentaires, des exigeances communes

Comme l’affirmaient les notes précédentes portant sur une Opération Urgence Habitation, le Québec, à l’instar de nombreuses autres sociétés sur ce continent et ailleurs, est confronté à la nécessité d’accroître significativement ses investissements dans ce domaine (qu’ils soient publics ou privés) au moment même où il doit composer avec une pénurie structurelle de main-d’œuvre. Pour se faire, avant même de considérer les aspects financiers d’une telle opération, il doit revoir ses priorités actuelles d’investissements pour faire primer l’urgence de la situation. Pour ce faire, il n’aura d’autre choix que de reporter ou d’étaler dans le temps ses programmes d’investissements pour pouvoir rediriger la main-d’œuvre et les entreprises disponibles vers des actions visant directement et rapidement l’accroissement de l’offre de logements abordables.

La même situation se présente, ici comme ailleurs, en ce qui concerne l’urgence climatique. Cette urgence se décompose en deux volets distincts, mais complémentaires qui vont nécessiter une mobilisation des ressources publiques et privées au Québec.

  • Le premier volet est celui de la lutte aux changements climatiques et vise principalement une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre et de l’empreinte carbone de l’ensemble des acteurs de la société québécoise, incluant les entreprises, les pouvoirs publics, la société civile et les ménages individuels. Les effets de tels efforts seront globaux et découleront d’engagements planétaires pris au premier chef par les États nationaux et infranationaux, qui devront passer de la parole aux actes. Si ce premier volet ne produit pas les résultats escomptés, c’est la planète tout entière qui court à la catastrophe.
  • Le deuxième volet est celui de l’adaptation aux changements climatiques et part du principe que l’évolution d’ores et déjà irréversible du climat et de ses manifestations les plus intenses va avoir des impacts directs et sérieux sur les différentes collectivités, allant des nations elles-mêmes aux collectivités locales ou régionales. Les effets de tels efforts seront localisés et vont nécessiter des interventions adaptées aux réalités des territoires, des écosystèmes et des collectivités humaines. En ces matières, ce sont les collectivités locales qui doivent être, et demeurer, en première ligne. Si ce deuxième volet ne produit pas les résultats escomptés, les catastrophes vont se dérouler localement et prendre la forme de ruptures dans les services, de destruction d’habitats humains et naturels, de diminution importante de la qualité de la vie, etc.

Pour faire face à ces deux volets de l’urgence climatique, le Québec va devoir augmenter considérablement le rythme de ses investissements publics et privés. Toutefois, tout comme c’est le cas en matière de l’Opération Urgence Habitation, ces investissements additionnels devront être rapidement réalisés en composant avec un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Encore une fois, à défaut de rediriger les ressources vers l’urgence climatique, les programmes publics d’investissements vont exercer une pression indue sur la main-d’œuvre et sur les carnets de commandes des entreprises, avec des effets inflationnistes qui vont l’emporter sur les objectifs de l’urgence climatique.

Les discussions qui se poursuivent entre le gouvernement du Québec et le monde municipal sur le financement d’un ambitieux programme d’investissements climatiques — et qui porte pour l’essentiel sur les enjeux d’adaptation — sont à cet égard révélatrices. Même à supposer qu’une entente soit rapidement conclue entre ces partenaires, ce qui laisse à comprendre que le gouvernement en prenne à son compte la principale charge financière étant donné le régime fiscal municipal québécois, les pénuries de main-d’œuvre ne vont pas disparaître comme par enchantement. Et, tout comme dans le cas de l’Opération Urgence Habitation, à moins, d’abord, de revoir en profondeur les programmes actuels d’investissements du gouvernement et des municipalités, toute la bonne volonté des partenaires risque fort d’alimenter les pressions inflationnistes au point, peut-être, de compromettre ou retarder indûment l’atteinte de résultats probants.

Tant sur le plan de l’urgence climatique que sur celui de l’urgence habitation, la révision des programmes publics d’investissements actuels s’impose comme une incontournable étape préalable à une action efficace. Cette révision va devoir comporter des réorientations majeures, des choix déchirants, des débats publics intenses. Quelles priorités actuelles devront céder le pas aux urgences absolues de notre époque et des générations montantes ? Pas évident… mais nécessaire.

Ce qui précède ne doit pas, toutefois, laisser entendre que les conséquences d’une stratégie liée à l’urgence climatique vont se limiter aux seuls programmes d’investissements publics. Bien sûr, les entreprises et les ménages vont devoir faire leur part, appuyés comme il se doit par des politiques publiques appropriées et, au besoin, par des démarches de consultation publique et par des transferts financiers et fiscaux conséquents. Mais, dans ce contexte, les gouvernements du Canada et du Québec, ainsi que les municipalités, vont devoir accélérer leurs réflexions sur leurs façons de faire. Leurs choix ne devront pas se limiter à la gestion de leurs dettes respectives, mais aussi à la révision de leurs priorités budgétaires courantes. Dans tous ces cas, heureusement, ils n’ont pas à partir de zéro, ce dont témoignent notamment les nombreuses orientations et politiques qui se sont inspirées, ici comme ailleurs, du rapport Brundtland (« Notre avenir à tous »), publié en 1987, et du Sommet de la Terre de 1992.

Ce n’est pas l’objectif de cette note de passer en revue l’ensemble des stratégies climatiques et environnementales — incluant celles reliées à la protection de la biodiversité — sur lesquelles travaillent activement des milliers d’acteurs au Québec. Toutefois, il est clair qu’il faut très rapidement passer de la parole aux actes et accélérer le rythme des réalisations concrètes, dans un contexte où les ressources — et les ressources humaines tout particulièrement — se font rares. Ce contexte prévaut tout autant pour l’urgence climatique et pour l’Opération Urgence Habitation — laquelle peut et doit apporter une contribution directe à la lutte et à l’adaptation aux changements climatiques comme l’a évoqué la note précédente sur les façons de faire. Il faudra rapidement inventer et appliquer les moyens, certes, mais encore et surtout, la méthode appropriée pour faire les arbitrages.

Dans un cas comme dans l’autre, des choix préalables, souvent déchirants, s’avèrent incontournables. Le Québec aura-t-il la capacité, le niveau de mobilisation et le courage de les faire ? Pour y parvenir, une nécessité immédiate s’impose : réaliser rapidement quelques projets exemplaires, en faire des références pour venir à but du défaitisme ou du scepticisme résigné.

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