La privatisation de l’énergie éolienne et l’impact sur la mission d’Hydro-Québec

Résumé

Passer d’un bien marchand à un service public

Des années 1930 à 1962, le Québec s’est engagé sur le chemin d’une maîtrise collective des infrastructures énergétiques privées, qui culmina avec la création d’Hydro-Québec et de la deuxième vague de nationalisation. Cette nouvelle entreprise publique deviendra non seulement un distributeur, mais aussi un producteur avec le grand chantier de l’hydroélectricité. Le service public de l’énergie est né. La nationalisation des infrastructures de production est advenue avec la renégociation des ententes avec les municipalités qui percevaient des revenus issus d’ententes avec les producteurs privés. Ces sources de revenus seront supprimées et une exemption de taxes municipales sera entérinée dans le cadre de la première loi en matière d’évaluation foncière du Québec. Dorénavant, l’exemption de taxes municipales s’applique à « l’ensemble des installations de production électrique », sans égards à l’identité de leur propriétaire.

La création de la Régie de l’énergie

Dans les années 1980, les surplus d’électricité mènent à l’adoption, en 1983, d’une loi permettant l’exportation de l’énergie. L’intégration au marché nord-américain à travers l’ALENA entraîne la création de la Régie de l’énergie (1996) et l’adaptation de la structure d’Hydro-Québec au marché dérégulé américain. C’est la création de trois services distincts : la gestion des lignes de transport à TransÉnergie (HQT), la construction et la gestion des infrastructures de production (HQP) et les services de distribution (HQD).

Hydro-Québec et la Régie l’énergie refusent la filière éolienne

En 1997, la stratégie énergétique du gouvernement de l’époque identifie la production éolienne comme la voie d’énergie renouvelable d’avenir. Après consultation, la Régie se prononce défavorablement considérant que les coûts élevés vont affecter négativement les clients d’Hydro-Québec et qu’une politique de développement régional portée par le développement de l’énergie éolienne ne doit pas être supportée par les clients d’Hydro-Québec. Le PDG d’Hydro-Québec de l’époque emboîte alors le pas à la Régie en s’opposant au développement de la filière.

Le gouvernement reprend la main : l’énergie patrimoniale

En réponse à cette opposition et voulant se conformer à la libéralisation du marché de l’électricité nord-américain, le gouvernement commande un rapport à la firme Merrill Lynch dont le scénario proposant la création d’un bloc d’électricité patrimonial sera retenu. En séparant ainsi les choses au sein de la société d’État, le caractère public de l’énergie au Québec est directement attaqué : en sous-main, c’est la voie qui, une première fois, remet en cause la mission publique d’Hydro-Québec et les choix de société ayant mené à la nationalisation de l’énergie. Cette voie permettra la privatisation de la production énergétique au Québec.

L’énergie postpatrimoniale : la privatisation de la production énergétique

L’énergie patrimoniale consiste en un bloc de 165 TWh au prix de vente de 2,79 ¢/kWh visant à garantir aux abonnés la fourniture d’une électricité à bas prix, sacralisant l’héritage de la nationalisation par l’application du décret 1277-2001 du 24 octobre 2001. Dorénavant, la demande en électricité qui excédera le volume du bloc patrimonial devra être satisfaite par un approvisionnement postpatrimonial. Les différents appels d’offre éolien, de biomasse ou de petite hydraulique permettront de répondre à une demande grandissante qui dépassera le volume du bloc patrimonial dès 2005. C’est le développement par appel d’offres tel qu’on le connaît maintenant. Chaque appel d’offres est le fruit d’un décret ministériel qui identifie certains types de production énergétique et les volumes associés. Cela permettra à l’éolien de contribuer à 77 % de l’énergie postpatrimoniale au Québec en 2023.

Les coûts d’acquisition et d’intégration de l’énergie éolienne

Depuis 2006 et la mise en service des centrales éoliennes, l’acquisition d’énergie éolienne entraîne une hausse des coûts pour la clientèle d’Hydro-Québec. Ainsi le prix contractuel moyen de l’énergie éolienne en 2023 est de 9,58 ¢/kWh. Cela correspond à 9,98 G$ de coût contractuel d’acquisition de l’énergie éolienne. Le coût réel, comprenant la surproduction, est évalué à 11,18 G$ en 2023 et 22,2 G$ à l’horizon 2035. Afin d’intégrer l’énergie éolienne à son réseau, un service d’intégration éolien est fourni par Hydro-Québec Production, ce qui implique un coût additionnel pour Hydro-Québec équivalent à 1 G$ soit 0,98 ¢/kWh additionnel. En plus d’entraîner une perte de maîtrise de l’énergie, la privatisation d’Hydro-Québec entraîne des coûts importants pour la société québécoise.

La priorisation du postpatrimonial : le coût du développement par décret.

Le développement de la filière éolienne, qui se fait par décret, implique que les choix ne se sont pas faits sur la base d’une planification énergétique intégrée, mais des besoins des acteurs au centre du développement de la filière. En 2013, la mise en service de la majorité des parcs éoliens alerte la clientèle et les intervenants à la Régie qui veulent préserver la priorité à l’énergie patrimoniale. Une décision de celle-ci et une modification législative valideront le principe de priorité à l’énergie postpatrimoniale. Cela entraîne un coût assumé par la clientèle qui atteint 6,09 G$ attribuable au manque dans la planification intégrée des approvisionnements énergétiques. Cette énergie patrimoniale excédentaire, disponible à bas coût, n’a par ailleurs pas permis à Hydro-Québec de profiter d’un marché nord-américain inondé par l’énergie bon marché provenant du gaz de schiste. Si la fin des surplus et de cette « spirale de la mort » va entraîner la fin de ces surcoûts, il doit nous rappeler l’impact que peut avoir une gestion politique de l’approvisionnement énergétique.

Des profits substantiels pour les promoteurs éoliens

Le principal argument utilisé par les différents gouvernements qui se succèdent depuis 25 ans est celui de l’impact de cette filière sur le développement régional. On peut y voir un rattrapage de l’exemption des taxes municipales mise en œuvre à l’époque de la nationalisation. Mais en évaluant les marges bénéficiaires, des questions se posent concernant les intérêts poursuivis par cette privatisation de la production éolienne. En effet, de 2006 à 2023, les marges bénéficiaires de la filière éolienne au Québec se situent entre 0,90 G$ et 1,68 G$. À l’horizon 2035, cela correspond à des marges comprises entre 1,79 G$ et 3,34 G$.

Une alternative pour les municipalités et Hydro-Québec

Si certaines municipalités et MRC ont pu capter une partie de cette marge par un partage de la rente éolienne, la question se pose : qui sont les réels bénéficiaires de cette privatisation ? En prenant une répartition 50-50 entre Hydro-Québec et le milieu municipal d’une telle filière développée par Hydro-Québec, les revenus pour chaque partie en 2023 auraient pu être compris entre 450 et 840 M$ cumulés en 2023 et devraient atteindre entre 910 M$ et 1,70 G$ à l’horizon 2035. Il est donc nécessaire de questionner, aussi bien sur le plan économique que politique, le principe de la privatisation de la production énergétique afin de pouvoir mieux capter et répartir les revenus issus d’une telle filière et répondre de manière plus adaptée aux besoins de la clientèle d’Hydro-Québec.

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