L’économie numérique et les enjeux du transfert technologique au Québec

  • Bien que présentée sous le signe de la nouveauté, la récente Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation (SQRI2) reprend à son compte des mesures qui datent de plus de deux décennies : 1) la stimulation des investissements en R‑D par l’entremise de crédits d’impôt ; 2) l’encouragement du transfert technologique par des subventions partenariales et la création d’organismes d’intermédiation ; 3) la consolidation du secteur de financement par capital de risque pour encourager le développement d’entreprises émergentes.
  • Le transfert technologique constitue une des mesures phares visant à encourager l’innovation technologique, en particulier dans le secteur du numérique. Depuis le milieu des années 1990, les subventions conditionnelles à l’établissement de partenariats n’ont cessé d’augmenter, tout comme la mise en place d’organismes d’intermédiation comme les bureaux de liaison entreprises-universités (BLEU). Malgré tout, les investissements par les entreprises privées dans la R-D effectuée en milieu universitaire tendent à diminuer, étant passés de 224 M$ à 202 M$ (- 9,8 %) en dollars constants de 2001 à 2020.
  • Malgré différentes tentatives passées, aussi bien de la part du gouvernement du Canada que du gouvernement du Québec, il n’existe pas d’encadrement ferme et national en ce qui concerne la propriété intellectuelle issue de recherches financées publiquement. Cet encadrement est réalisé de façon décentralisée et variable par les universités et il ne permet pas d’assurer la rétention de la propriété intellectuelle et d’optimiser ses effets de manière durable au Québec.
  • Les revenus que tirent les universités des licences d’utilisation octroyées pour la propriété intellectuelle sont limités. Même en faisant abstraction des fonds publics importants qui sont consacrés à la recherche, les activités de transfert technologique sont très rarement rentables pour les universités étant donné les coûts qui s’y rattachent. Le transfert technologique correspond ainsi à une forme de service rendu aux entreprises, sous la forme d’une socialisation des dépenses et d’une privatisation des bénéfices.
  • Au Québec, on observe un décalage de plus en plus important entre la capacité d’innovation et la propriété intellectuelle des inventions développées. L’analyse de la base de données du Bureau américain des brevets (USPTO) montre que si, au début des années 2000, le Québec se démarquait par un excédent important de brevets octroyés en rapport aux inventions brevetées, il se démarque aujourd’hui par un déficit majeur en la matière, sa performance se situant en dessous de l’ensemble des pays du G7, particulièrement dans le secteur des TIC.
  • De façon plus modérée, on observe aussi une tendance à la fuite des entreprises émergentes au Québec. Au cours des dix dernières années, les entreprises du Québec ont procédé à 47 opérations de fusions et acquisitions à l’égard d’entreprises émergentes étrangères, tandis que 58 entreprises émergentes du Québec ont fait l’objet d’opérations de fusions et acquisitions par des entreprises étrangères, pour un bilan négatif de -11, en particulier dans le secteur des TIC.
  • Des analyses plus approfondies seraient nécessaires afin d’établir la pertinence et l’efficacité des mesures appliquées en matière de transfert technologique, ce qui nécessiterait toutefois des données fiables, complètes et accessibles. Considérant l’ampleur des ressources et des efforts consacrés à l’innovation et au transfert technologiques, il est consternant de constater qu’il n’existe pas de mécanisme officiel assurant la collecte systématique de données sur le transfert technologique à l’égard des universités et des centres de recherche publics au Québec.
  • Le paradigme qui prédomine dans le domaine de l’innovation et du transfert technologiques repose sur l’accaparement et le contrôle des nouvelles technologies au moyen de brevets. Les centres publics de recherche se retrouvent ainsi mobilisés et subordonnés aux stratégies d’affaires, à caractère monopolistique, de grandes entreprises, notamment dans le secteur du numérique. Ce paradigme dessert une économie ouverte et de moyenne envergure comme celle du Québec, dont le dynamisme repose principalement sur les PME ainsi que sur le secteur public et l’économie sociale.
  • Heureusement, des voies alternatives existent. Il est possible d’assurer un meilleur encadrement de la propriété intellectuelle issue de recherches financées publiquement en privilégiant le principe de contrepartie, à savoir que le financement public des innovations se traduise par une participation proportionnelle à la propriété intellectuelle ou au capital-actions des entreprises qui en résultent. Pour ce faire, il n’y a qu’à revoir les rôles respectifs d’acteurs déjà existants comme les Fonds de recherche du Québec, la société de valorisation Axelys et Investissement Québec.
  • De nouvelles avenues peuvent aussi être explorées comme les Fonds souverains de brevets ou la science ouverte, en misant sur la mise en commun et l’accessibilité des technologies développées au Québec, ce qui pourrait constituer les bases d’un véritable changement de paradigme en matière d’innovation, nous permettant de sortir de la logique actuelle d’accaparement et de contrôle technologiques qui ne bénéficie pas au Québec sur le long terme.

Télécharger la publication

Partagez cette publication