Lettre ouverte

Agir maintenant pour assurer un futur durable aux pêches maritimes du Québec

Agir maintenant pour assurer un futur durable aux pêches maritimes du Québec


Gabriel Bourgault-Faucher, Mélanie Lemire, Dany Dumont, Philippe Archambault, Yv Bonnier-Viger, Dominique Robert, Colombe St-Pierre et François L’Italien au nom du collectif Mange ton Saint-Laurent!

Lettre ouverte parue dans Le Devoir du 19 juin 2023.

Le Saint-Laurent nous parle, et il ne va pas bien. Son fragile écosystème, incroyablement nourricier, montre des signes de perturbation inquiétants en raison des changements climatiques qui s’accentuent d’année en année. Plusieurs secteurs d’activité qui dépendent de cet écosystème, à commencer par les pêches commerciales, sont aujourd’hui vulnérables. Les pêcheurs et les communautés côtières du Québec maritime sont aux premières loges pour en témoigner.

Il faut dire que notre modèle de développement des pêcheries est particulièrement inadapté pour faire face aux changements rapides et imprévisibles qu’on observe. Dans le jargon, on parle d’« extractivisme » : on extrait, on emballe, puis on exporte. Ce modèle, implanté avec la colonisation européenne en Amérique du Nord, demeure à ce jour largement soutenu et encouragé par le gouvernement du Canada (capture) et du Québec (transformation). Conçu pour prélever de grandes quantités de une, deux, voire trois principales ressources, il donne lieu à des pêcheries monospécifiques, soit l’équivalent de la monoculture en agriculture.

Le 1er juin dernier, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) publiait son document annuel présentant les principaux indicateurs économiques du secteur, Le bioalimentaire économique. Bilan de l’année 2022. On y apprenait entre autres que nos importations de produits aquatiquescontinuent d’augmenter, que les transformateurs exportent jusqu’à 84 % de leur production (à l’international et dans les autres provinces) et que les exportations internationales convergent de manière croissante vers un seul marché, les États-Unis, à hauteur de 88 %.

Mais par-dessus tout, c’est la concentration des captures autour de seulement deux espèces qui retient l’attention. En effet, en 2022, le homard et le crabe des neiges ont représenté 90 % de la valeur des débarquements au Québec, du jamais vu dans l’histoire récente. À titre comparatif, de la Seconde Guerre mondiale à l’effondrement des stocks de poissons de fond au début des années 1990, la morue et le sébaste (les deux principales espèces de l’époque) n’ont jamais représenté plus que 56 % de la valeur des débarquements. C’était en 1973. Avons-nous oublié à quel point les communautés côtières du Québec maritime ont été durement touchées par ces moratoires ?

Des pêcheurs et d’autres acteurs du milieu expriment d’ailleurs de plus en plus d’inquiétude. Alors qu’on assiste au réchauffement des eaux, à l’acidification des océans et à la diminution du couvert de glace en hiver, on observe aussi que les comportements reproducteurs, les rythmes de croissance et les aires de répartition des espèces se modifient, en même temps que les réseaux alimentaires (proies-prédateurs). Le homard et le crabe des neiges migrent vers le nord. La crevette nordique, les poissons pélagiques, comme le hareng et le maquereau, ainsi que plusieurs poissons de fond, comme la limande à queue jaune, la plie rouge, le flétan du Groenland (turbot) et la morue du sud du golfe sont dans un état critique.

Certaines pêches ferment subitement. L’état des stocks devient difficile à évaluer, ce qui en complexifie d’autant la gestion. D’autres espèces, comme le bar rayé, le sébaste, le flétan de l’Atlantique et le phoque gris se portent bien, mais pour certaines, il manque de soutien pour développer leur marché.

Il va sans dire que les pêches maritimes risquent d’être sévèrement ébranlées par les changements anticipés et les surprises écologiques qui surviendront. Le secteur doit pour cette raison rapidement et nécessairement être adapté à l’imprévisibilité, pour renforcer la résilience et la vitalité des communautés. Pour cela, il est impératif de sortir du modèle extractiviste, le fish and ship (pêcher, puis exporter), qui s’est imposé jusqu’à présent. Il faut pêcher moins, mais mieux, diversifier les captures et les activités de transformation ainsi que se servir des ressources du Saint-Laurent pour nourrir le Québec.

Le projet d’autonomie alimentaire recèle en cela un potentiel intéressant. Toutefois, il faudra passer de la parole aux actes. On ne peut pas d’un côté affirmer qu’on en fait une priorité et ne saupoudrer que quelques milliers de dollars à droite et à gauche pour soutenir une poignée d’initiatives, car de l’autre côté, c’est à coups de millions qu’on finance des projets destinés à reproduire et à conforter les assises d’un modèle voué à s’effondrer.

Fort heureusement, le MAPAQ entamera bientôt la révision de sa politique bioalimentaire. Celle-ci déterminera les grandes orientations du secteur pour les années à venir. L’occasion est belle de mettre clairement — et sans ambivalence — l’autonomie alimentaire au centre de nos politiques publiques. Il est urgent d’agir, car les pêcheurs, les transformateurs et tous les autres acteurs du milieu des pêches ont besoin d’un cadre réglementaire et d’un soutien financier conséquent pour revoir le modèle d’exploitation et diversifier les pêcheries au Québec.