L’inflation alimentaire : un aperçu par groupes d’aliments


Par David Dupont

Chercheur à l’IREC

C’est en se frottant les yeux et en se pinçant les bras que bien des consommateurs ont constaté la montée vertigineuse du prix des aliments dans les derniers mois. Aux confinements ayant mis à rude épreuve les chaînes d’approvisionnement s’est ajoutée une guerre dont les deux belligérants occupaient de manière combinée 34% du marché mondial du blé, 26% de l’orge et 75% de l’huile de tournesol[1]. À ces soubresauts conjoncturels ayant marqué la scène internationale, les grandes chaînes de supermarchés sont aussi soupçonnées de gonfler les prix en tirant un avantage indu du manque de concurrence dans ce maillon du secteur agroalimentaire[2].

Toujours est-il que la persistance de la dynamique inflationniste qui s’est installée au Québec s’avère insoutenable pour bien des ménages. Cette inflation d’un bien de consommation essentiel plombe d’ailleurs davantage le budget des ménages à faibles revenus au Québec, lesquels consacrent une part près de deux fois plus importante de leurs dépenses totales à l’achat d’aliments en magasin que ne le font les ménages les plus fortunés[3].



La montée des prix des aliments observée dans les derniers mois a constitué l’un des principaux vecteurs de l’inflation générale. En retirant ce qu’il en coûte pour se nourrir, l’inflation se situait à 2,4 % en juin 2023 (sur une période d’un an), soit le Saint Graal que vise la Banque du Canada[4]. Au même moment, l’inflation annuelle pour les aliments achetés en magasin dépassait 10%. Pour considérable qu’il soit, cet écart était déjà présent dans les mois précédant l’avènement des troubles socioéconomiques occasionnés par les mesures de lutte au COVID-19, comme l’illustre le graphique suivant. L’effet cumulatif de ces hausses génère par ailleurs un accroissement exponentiel du coût des aliments par rapport aux prix des autres biens dont la valeur augmente à un taux moindre[5].


Le tableau ci-haut offre un portrait de l’évolution récente des prix en magasins au Québec par grands groupes d’aliments. Ces grandes catégories vendues en magasins provenant de filières différentes ayant chacune leurs dynamiques propres, les causes de l’augmentation des prix pour les différents groupes d’aliments ne peuvent être analysées précisément qu’en décomposant la formation des prix alimentaires sur l’ensemble de la chaîne de valeur, un objectif qui dépasserait largement la portée du présent texte. Toujours est-il qu’en prenant comme période de référence l’inflation du mois de décembre 2021, les aliments coûtaient 16,6% deux ans plus tard[6]. Le prix des différents groupes d’aliments n’a toutefois pas augmenté au même rythme. De tous les aliments, ce sont les poissons et produits de la mer dont les prix se sont le moins appréciés. Il importe néanmoins de souligner que ces produits ne comptent que pour 5% du panier d’épicerie des Québécois,[7] mais des efforts sont déployés pour valoriser les ressources halieutiques du Québec sur le marché intérieur[8]. Viennent ensuite des aliments dont la chaîne de valeur est couverte par la gestion de l’offre que sont les produits laitiers et les œufs (13,3%). S’ajoutent ensuite les viandes dont l’augmentation des prix a été en deçà de la moyenne de l’ensemble des aliments (15%). Il importe de mentionner que les prix du porc acheté en magasin n’ont que très peu augmenté durant la période étudiée, soit de moins de 1%[9].

À l’autre bout du spectre, les prix des fruits, des légumes et des céréales ont été ceux ayant grimpé le plus entre les mois de décembre 2021 et 2023. La catégorie « Autres produits alimentaires et boissons non alcoolisées », comprend quant à elle les sucres et confiseries, les graisses (comme la margarine) et les huiles végétales, le café et thé, les condiments, épices et vinaigres, les boissons non alcoolisées et les autres préparations alimentaires. De tous ces aliments, les « graisses et huiles comestibles » présentent des augmentations de prix substantielles, de l’ordre de 32%[10].

La présente fiche peut laisser sur sa faim quiconque aurait souhaité comprendre les causes de l’inflation des prix alimentaires. L’analyse de la formation des prix alimentaires aurait nécessité une étude beaucoup plus approfondie, et ce, pour chacune des chaînes de valeur impliquées dans la commercialisation des aliments achetés en magasin. Ultra-transformés, certains aliments sont composés d’ingrédients issus d’un complexe agroalimentaire s’appuyant sur des fournisseurs éparpillés dans plusieurs usines et territoires. Une analyse rigoureuse nécessiterait ainsi de se pencher sur les prix d’entrée et de sortie pour l’ensemble des items impliqués, et ce, pour chacune des filières. Ce sera l’objet de notre prochain texte qui présentera les modèles d’analyse de formation des prix alimentaires, modèles ayant été développés au Québec et ailleurs.

[1] Voir notamment : Glauber, J., Laborde, D. et Swinnen, J. « The Russia-Ukraine war’s impact on global food markets. A historical perspective », dans The Russia-Ukraine conflict and global food security, International Food Policy Research Institute, 2023.

[2] Bureau de la concurrence, Le Canada a besoin de plus de concurrence dans le secteur de l’épicerie. Rapport de l’étude de marché sur l’épicerie de détail du Bureau de la concurrence, 2023.

[3] 14,8% des dépenses des ménages se situant dans le quintile de revenu inférieur sont consacrés à l’achat d’aliments en magasins, contre 7,9% pour les ménages du quintile de revenu supérieur. Source : Statistique Canada, Tableau : 11-10-0223-01, calculs de l’auteur.

[4] Voir : Beaudry, Paul, Our commitment to 2% inflation, Banque du Canada, 2023. https://www.bankofcanada.ca/2023/02/our-commitment-to-2-inflation/ . Cet article présente les objectifs de la Banque centrale canadienne et les raisons qui motivent la Banque à viser une inflation de 2%. Il importe de mentionner que le nombre de 2% est un arrondissement de 2,4%

[5] Nous illustrons cette dynamique à l’aide d’un graphique cet effet avec l’hypothèse d’une inflation à 10% des aliments, pour 5% pour les autres biens.

[6] Soit une inflation plus importante que si on additionne chacune des augmentations annuelles.

[7] Source : Statistique Canada, tableau 11-10-0125-01.

[8] L’IREC participe à ces efforts en organisant notamment le Forum des entrepreneurs dans le cadre du Salon Fourchette bleue qui vise à promouvoir les produits marins du Québec https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2044640/sebaste-troisieme-salon-fourchette-bleue

[9] Source : Statistique Canada, Tableau : 18-10-0004-01. Données non présentées en tableau; calculs de l’auteur.

[10] Source : Statistique Canada, Tableau : 18-10-0004-01. Données non présentées en tableau; calculs de l’auteur.

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