La révolution numérique au service du bien commun : la technologie des chaînes de blocs
Dans son application courante, la technologie des chaînes de blocs se présente sous la forme d’un réseau composé d’une communauté d’utilisateurs, par exemple la communauté des utilisateurs du bitcoin. La méthode d’enregistrement et de validation des transactions (le minage) permet de trouver, en employant des techniques cryptographiques, une empreinte électronique unique (le « hash ») pour chaque nouveau bloc créé, qui intègre également le « hash » du bloc précédent. Au final, la chaîne de blocs se présente comme un grand registre public — dont chaque participant détient une copie — constamment mis à jour, qui agit comme un système de confiance sécurisé, infalsifiable, reposant sur une forme de consensus automatisé et décentralisé.
On prétend que les cryptomonnaies fondées sur cette architecture permettent de diminuer les coûts de transaction. Cette prétention n’est pas vraie dans le cas du Bitcoin. Pour cette cryptomonnaie, la méthode de validation par preuve de travail (proof-of-work), qui met en concurrence les mineurs pour enregistrer et vérifier l’authenticité des opérations, est très énergivore. En date du 14 février 2020, la consommation moyenne d’électricité pour une seule transaction de bitcoin s’élevait à 652 kWh et la consommation annuelle du réseau Bitcoin s’élevait à 75 térawattheures (TWh), soit l’équivalent de la consommation d’un pays comme le Venezuela.
Cette évolution a conduit plusieurs spécialistes à douter de l’avenir du Bitcoin. Le commentaire le plus convaincant provient du milieu financier : à l’occasion de la publication du rapport annuel de la Banque des règlements internationaux (BRI), son directeur général, Agustin Carstens, déclarait que le Bitcoin n’était rien de moins que la « combinaison d’une bulle spéculative, d’un système de Ponzi et d’une catastrophe écologique ». Cependant, pour d’autres spécialistes de l’économie numérique, au-delà des cryptomonnaies, la technologie des chaînes de blocs semble pouvoir jouer un rôle clé au cœur de la révolution numérique qui secoue les bases du paradigme économique existant. Pour trois raisons : 1) Les caractéristiques de la technologie, à savoir d’être un registre décentralisé, correspondent aux besoins de l’économie du partage en émergence. 2) Grâce aux innovations de l’intelligence artificielle et des données massives, elle peut servir de support à des contrats intelligents qui ont la capacité de numériser des transferts de valeurs, en évitant les duplications (les doubles dépenses). 3) Enfin, de nouvelles méthodes de validation développées récemment telles que la preuve d’encours et la preuve d’autorité (proof-of-Stake et proof-of-Authority) ont permis de diminuer de façon considérable la consommation énergétique de la technologie.
La technologie des chaînes de blocs s’insère dans le contexte de la révolution numérique, dont les principales innovations sont les plateformes numériques, les mégacentres de données, la science des données (big data) et de l’intelligence artificielle et enfin, les chaînes de blocs qui constituent un dispositif décentralisé, transparent et inviolable, permettant de faciliter les procédures d’identification et de validation de transactions sur les plateformes numériques. Au Québec, l’encadrement institutionnel et organisationnel qui assure le dynamisme et le développement de l’économie numérique repose sur une stratégie de développement privilégiant une approche partenariale. Cette stratégie a permis le développement d’un écosystème numérique québécois de niveau mondial.
C’est dans un tel contexte, c’est-à-dire avec l’émergence d’une technologie numérique qui répond à des enjeux de transition énergétique d’une part, et l’existence d’un écosystème numérique québécois avec un potentiel important de développement d’autre part, que nous proposons de faire du Québec l’un des pôles mondiaux de plateformes numériques responsables offrant des services centrés sur les chaînes de blocs. Pour se qualifier de responsables, ces plateformes devraient répondre à un certain nombre de critères ou de « valeurs » :
• Des valeurs environnementales, visant à diminuer drastiquement l’empreinte carbone des infrastructures numériques en s’alimentant avec des énergies renouvelables et en offrant des services numériques associés aux enjeux de transition énergétique.
• Des valeurs sociales et de gouvernance, portant des préoccupations relevant du ressort de l’économie d’impact, du respect des droits, en particulier des droits du travail, des réglementations fiscales nationales ainsi que de la protection des données personnelles.
• Des valeurs économiques, c’est-à-dire chercher à répondre efficacement à une demande effective à travers deux axes stratégiques : d’abord en visant un développement équilibré de l’écosystème numérique québécois, ensuite en créant des synergies autour de domaines et de secteurs d’activités stratégiques.
Les conditions à mettre en place pour assurer la réalisation de cette filière de plateformes numériques responsables devraient s’appuyer sur cinq grands axes d’intervention.
1. Créer une expertise publique par le biais d’une cellule stratégique de fonctionnaires qui regrouperait les agents publics associés aux divers volets de la stratégie.
2. Identifier avec les acteurs de l’industrie les secteurs et les domaines d’excellence à privilégier (en particulier dans les services offrant des biens publics) pour avoir le plus d’impacts positifs, ici et ailleurs ;
3. Bonifier la réglementation associée à l’innovation des chaînes de blocs pour soutenir et sécuriser les investissements en capitaux et en compétences ;
4. Continuer d’investir dans la R&D et l’innovation de l’industrie ;
5. Bonifier le soutien technique et financier.