L'hydrogène, un vecteur énergétique pour la transition
Dans le milieu industriel, la production, la distribution et le stockage de l’hydrogène profitent d’une expérience de plus de 100 ans. Le développement récent des piles à combustible, pouvant être utilisées dans divers secteurs, dont celui du transport, change la perception du risque lié à son utilisation.
Au niveau mondial, la consommation d’hydrogène s’élevait en 2018 à 70 millions de tonnes, soit plus de trois fois la consommation mondiale de 1975. Actuellement, l’hydrogène est surtout produit pour des applications industrielles telles que le raffinage (33 %), la production d’ammoniac (27 %), de méthanol (11 %) et pour la métallurgie.
La production d’hydrogène se fait à 76 % à partir de gaz naturel alors que 23 % sont produits à partir de charbon. La technologie de production par électrolyse, qui utilise l’électricité, représente moins de 2 % de la production mondiale. Les technologies de production à partir d’hydrocarbure sont responsables d’émettre entre 9 et 19 tCO2/tH2. Ces émissions sont proches proche de zéro lorsqu’on utilise de l’énergie renouvelable.
Le coût de production de l’hydrogène issu du gaz naturel est actuellement plus compétitif en raison du faible coût de ce gaz aux États-Unis, en Russie et au Moyen-Orient. La compétitivité de l’hydrogène issu de l’électrolyse dépend du coût de l’électricité utilisée. Il existe trois types d’électrolyseurs :
Les électrolyseurs alcalins (AEL) utilisés depuis les années 1920 : il s’agit d’une technologie mature et commercialisée pour des unités de grande dimension.
La technologie par membrane d’électrolyse à proton (PEM) introduite dans les années 1960 : Relativement petit et offrant un fonctionnement flexible.
La technologie d’électrolyse à haute température et haut rendement (SOEC), encore en stade de développement.
La difficulté de stockage est la principale contrainte à l’utilisation de l’hydrogène. Elle peut être contournée par transformation en ammoniac, plus facile et économique à stocker et transporter. L’ammoniac peut être utilisé à des fins industrielles et peut également être exporté vers les centres où la demande en hydrogène est forte.
L’hydrogène est un vecteur énergétique très versatile adapté à de nombreuses applications comme le transport, la production de chaleur, l’industrie ou le secteur électrique. Selon les prévisions du Hydrogen Council, l’utilisation de l’hydrogène pourrait être multipliée par 10 en 2050, en particulier pour la période post-2030. Ce développement permettrait de répondre ainsi à 18 % de la demande finale d’énergie et de réduire les émissions annuelles de 6 milliards de tonnes de GES. Plusieurs pays se sont déjà dotés de politiques ciblées.
On retrouve sur le territoire québécois les principaux acteurs mondiaux de l’industrie de l’hydrogène que sont les Air Liquide, Linde (Messer Canada), Praxair et Air Products. Les principaux sites de production de gaz industriels sont situés à proximité du réseau de transport du gaz naturel au Québec et des utilisateurs. Le Québec a exporté 5 700 tonnes d’hydrogène en 2018 et en a importé moins de 50 tonnes. Le commerce de l’ammoniac est plus important, avec des exportations de 18 000 tonnes la même année (en croissance de 55 % depuis 2015) et des importations de 8 000 tonnes. Les États-Unis sont le partenaire presque exclusif du commerce de l’hydrogène/ammoniac avec le Québec.
Une production d’hydrogène propre centralisée, associée à l’hydroélectricité à bas prix, permettrait de concurrencer les autres sources de production et de diminuer l’empreinte carbone des industries actuelles, voire d’en attirer de nouvelles. Un développement industriel à proximité des sites de production permettrait à la fois de minimiser les investissements en infrastructures (stockage ou pipeline) et de pouvoir profiter au maximum de la capacité de l’hydroélectricité québécoise. L’annonce récente, par Air Liquide, de la construction à Bécancour du plus grand électrolyseur PEM au monde, d’une capacité de 20 MW, démontre clairement le potentiel québécois pour ce créneau.
Le contexte est favorable pour stimuler ce type d’investissement sur les sites de production d’hydrogène au Québec afin de décarboniser les applications actuelles de l’hydrogène et d’en ouvrir de nouvelles, tels les procédés industriels à haute température, le chauffage ou la production d’électricité. Les éventuels surplus de ces sites de production d’hydrogène propre pourraient être injectés dans le réseau de gaz naturel qui les jouxtent. Cet apport en hydrogène propre pourrait faciliter l’atteinte plus rapide de la norme de contenu en GNR (Gaz naturel renouvelable) imposée aux distributeurs de gaz naturel. Sa disponibilité pourrait même permettre de rehausser cette norme puisque l’hydrogène peut être combiné au gaz naturel à hauteur de 20 % sans exiger de modifications.
Les usages d’une production décentralisée de l’hydrogène sont multiples. Nous estimons qu’il faut privilégier le transport sur longue distance pour lequel la technologie des véhicules électriques à batterie est confrontée à diverses contraintes, par exemple le poids des batteries ou l’utilisation de matières rares ou stratégiques. On pense aussi à des rames de train à l'hydrogène, ou à quelques créneaux de navires (traversiers, cabotage et recherche).
Il faut un plan d’action pour mettre le Québec sur la voie de l’économie de l’hydrogène : le prix de l’électricité, les rendements d’échelle et l’innovation sont les éléments sur lesquels il faut agir en priorité. Le gouvernement du Québec peut jouer un rôle déterminant pour l’émergence de pôles de production d’hydrogène propre : 1) en offrant un bloc d’énergie à bas coût ; 2) en facilitant la création de masses critiques et de pôles industriels dans des régions ciblées (région métropolitaine, centre du Québec/Mauricie, Côte-Nord) et 3) en adaptant ses programmes de R&D et d’innovation aux enjeux particuliers de ce vecteur énergétique et de ses dérivés (en particulier l’ammoniac).
Le Plan Hydrogène du Québec devrait viser non seulement à verdir l’ensemble de la production d’hydrogène au Québec, mais aussi à faire de ce vecteur énergétique versatile le meilleur substitut pour convertir les combustibles fossiles, gazeux et liquides, qui ne pourraient pas être remplacés par les efforts d’électrification.