Commerce et culture : protéger la culture dans les accords commerciaux
Ce rapport de recherche porte sur les interactions entre les accords commerciaux et les poli-tiques culturelles nationales. Il s’inscrit dans un contexte où le gouvernement canadien accélère le pas en matière de négociations visant la conclusion d’accords commerciaux pendant que des craintes concernant la protection et la promotion de la diversité culturelle subsistent au Québec. Le rapport vise à identifier les menaces que pose le libre-échange pour le patrimoine culturel du Québec. L’objectif principal est de proposer des façons de le protéger dans le cadre des traités de libre-échange et d’investissement.
Après avoir souligné les difficultés que pose la définition de la « culture », la première partie clarifie les concepts pertinents dans le cadre de l’étude. Les instruments internationaux réfèrent au concept de patrimoine culturel et le catégorisent pour désigner les différentes formes d’expressions culturelles. D’un côté, il y a le patrimoine culturel immatériel qui réfère aux pratiques et connaissances des communautés et de l’autre, il y a le patrimoine culturel matériel qui peut être mobilier, immobilier ou même subaquatique. Cette partie définit également la notion de « diversité culturelle » et précise la signification de la référence à l’humanité dans certains textes juridiques portant sur le patrimoine culturel. Finalement, les concepts de « biens » et de « services » culturels regroupés sont distingués.
La deuxième partie présente les principaux instruments internationaux en matière de protection du patrimoine culturel. La première section rappelle que le régime constitutionnel canadien a plusieurs conséquences pratiques : bien que la constitution soit muette sur la conduite des relations internationales, elle divise la responsabilité de la mise en œuvre des traités entre l’Assemblée nationale et le Parlement fédéral. C’est en grande partie pourquoi la place du Québec à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) fait l’objet d’une controverse actuellement. La deuxième section présente sommairement trois conventions ratifiées par le Canada et s’intéresse à la façon dont elles ont été mises en œuvre. La troisième section analyse brièvement les obligations contenues dans deux autres conventions non ratifiées par le Canada. Elle conclut que les politiques culturelles du Québec reflètent certaines divergences de vues avec le gouvernement fédéral sur le plan international.
La troisième partie s’appuie sur la jurisprudence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et des tribunaux d’investissement pour démontrer comment les principes du libre-échange contribuent à miner les politiques culturelles des États. Elle établit en premier lieu que la libéralisation du commerce des biens met en danger les politiques publiques de subventions pour des biens culturels, les taxes douanières et les quotas imposés sur les biens culturels étrangers. En effet, l’expérience de l’OMC rappelle que certaines mesures prises dans le cadre de la politique canadienne sur les périodiques ont fait l’objet d’une plainte et ont dû être retirées. Il appert, deuxièmement, que la libéralisation du commerce des services a des effets potentiels particulièrement négatifs sur les politiques relatives à l’audiovisuel. Déjà, les politiques chinoise et canadienne sur la distribution de films ont fait l’objet de plaintes en vertu de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). Troisièmement, on peut voir que les principes relatifs à la libéralisation de l’investissement contenus dans les traités commerciaux ont des impacts encore plus nombreux sur la protection du patrimoine culturel. L’étude de la jurisprudence des tribunaux d’arbitrage fait ressortir que les investisseurs étrangers peuvent contester la règlementation sur les immeubles patrimoniaux comme ceux que l’on retrouve dans l’arrondissement historique de Québec. Le développement culturel des Premières Nations dans le cadre du Plan Nord peut également être mis en péril par les droits accor-dés aux investisseurs, tout comme la sauvegarde du patrimoine naturel et culturel inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. En définitive, les règles du droit commercial international et du droit de l’investissement étranger se retrouvent parfois en contradiction avec les politiques étatiques visant à protéger la culture et l’identité nationales.
Les recommandations finales se trouvent dans la cinquième et dernière partie. Dans un premier temps, le rapport recommande que la stratégie utilisée dans le passé par le Canada soit abandonnée. Malgré les efforts déployés, elle s’est montrée inefficace. En deuxième lieu, il faudrait que le gouvernement du Québec suggère au Canada d’imposer un moratoire sur toutes les négociations internationales commerciales, y compris celles qui ont lieu dans le cadre de l’AÉCG, jusqu’à l’adoption d’une nouvelle stratégie efficace pour protéger le patrimoine culturel. Si le gouvernement fédéral rejette cette option, l’Assemblée nationale doit refuser de mettre en œuvre tout nouvel accord commercial. Dans un troisième temps, le gouvernement du Québec devrait adopter une stratégie de protection du patrimoine culturel qui lui est propre, autonome et distincte de celle du gouvernement canadien. Enfin, le gouvernement du Québec devrait se pencher sur deux options pour limiter l’impact négatif des accords commerciaux négociés par le Canada sur le patrimoine culturel québécois : l’inclusion de considérations culturelles dans les préambules des accords et l’utilisation d’une clause d’exception générale.