Une analyse institutionnelle de la citoyenneté au travail dans une firme multinationale : le Canada et le Ghana en comparaison

Cette thèse propose une analyse institutionnelle et comparative de la citoyenneté au travail dans une mine au Ghana et une usine de première transformation au Canada, toutes deux appartenant à la même multinationale. Qu’elle se conçoive en termes industriels (Marshall 1965), corporatifs (Carroll, 1998) et même de logique informelle, la citoyenneté au travail est une pratique située dont la construction sociale est déterminée par les trois interdépendantes dimensions que sont le sujet, la substance et le domaine (Bosniak, 2003). Participant au débat du lien entre les corporations et la société (Crane et al, 2008), la thèse réfute l’approche libérale qui a récemment caractérisé les théories et pratiques de la citoyenneté au travail, et propose de revenir aux origines de l’institutionnalisme dans un dialogue entre la solution d’un capitalisme hégémonique de John Commons et le problème du désencastrement de Karl Polanyi. Je propose l’heuristique d’une république de marché, comprise comme la terminaison institutionnelle de la société de marché, en retournant aux conditions procédurales de l’équilibre des autonomies individuelle et collective émises par John Locke dans son élaboration théorique de la démocratie libérale.

À partir des différents contextes d’économie libérale de marché au Canada et postcoloniale au Ghana, les résultats basés sur une centaine d’entrevues semi-structurées révèlent que les institutions nationales et locales encadrent différemment les relations de travail et les pratiques corporatives, obligeant celles-ci à de nouvelles configurations institutionnelles. Avec cependant des logiques semblables d’inclusion et d’exclusion, les acteurs ont une capacité de réinvention locale de leur citoyenneté qui met les institutions en demeure d’ajustements et d’arrangements imprévus. L’hégémonie institutionnelle n’est jamais imposée à l’avance; elle advient, se négocie et se construit par les jeux des acteurs en fonction des normes locales, au-delà des règles qu’ils s’approprient à leur façon. De la menace de l’ethnicité qui pèse sur le modèle corporatif d’une citoyenneté hétéronome au Ghana à son désenchantement dans une autonomie bien fragile au Canada, les régimes de citoyenneté au travail dans les deux cas reposent autrement la question de l’équilibre des rapports entre l’individu et sa collectivité. Des conditions dont dépend la cohésion sociale et dont le déséquilibre rapproche la société de l’état de nature hobbesien, contre les risques duquel Commons et Polanyi ont averti les démocraties libérales.

Au-delà des logiques corporatives et syndicales, de nouvelles rationalités se dégagent néanmoins, celles de l’informel au Ghana et d’un retour du social au Canada, en prélude à un ordre social plus englobant des différences. C’est dans cette complémentarité que les acteurs surtout locaux reconstruisent leur citoyenneté, par des stratégies de bricolage institutionnel, de diffusion et de traduction (Campbell, 2004), dans un dépassement du modèle caduque industriel et une mise à jour du modèle corporatif impossible sous les conditions structurales du marché. L’accomplissement de la citoyenneté au travail reste possible dans une république de marché comme ce fut le cas dans la respublica christiana du Moyen-âge où l’église encadrait une citoyenneté religieuse. La démocratie libérale peut encore sauver l’économie de marché à la condition que le travail, régulé par des arrangements institutionnels inclusifs et ouverts, soit porteur d’une citoyenneté intégrale.

Mots clés : Citoyenneté industrielle et corporative; régimes de citoyenneté; arrangements institutionnels; démocratie libérale et postcoloniale; hégémonie et contre-hégémonie; autonomies individuelle et collective.

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