Au début des années 1960, le gouvernement de Jean Lesage est à la recherche des ressources financières nécessaires pour financer un projet colossal, soit la modernisation des infrastructures et services publics du Québec. Aussi légitime soit-elle, cette recherche de capitaux est cependant entravée par un milieu financier récalcitrant devant ce projet, qui est aussi et d’abord celui d’une maîtrise du développement socio-économique du Québec. Or, loin d’être un obstacle infranchissable, cette résistance suscite au contraire une détermination renouvelée au sein du gouvernement du Québec. C’est de cette détermination que surgira le projet de la Caisse de dépôt et placement (ci-après : la Caisse), qui rassemblerait les fonds de plusieurs institutions et organismes pour développer un circuit de financement public de l’État, de sociétés publiques mais aussi d’entreprises québécoises. L’idée même d’une caisse des Québécois est alors une véritable révolution ; aussi, plusieurs forces économiques des milieux anglo-canadiens s’opposeront farouchement à la création de ce qui deviendra le navire amiral du « modèle québécois de développement ».
Ce dossier est le deuxième d’une série visant à rendre compte des origines et des finalités des institutions fondatrices d’un « modèle québécois » de la retraite, indissociable de ce que Bélanger (1998) définit comme un « projet collectif fondé sur une alliance particulière entre les pouvoirs économiques public et privé ». C’est sa triple dimension économique, culturelle et sociale qui nous intéresse ici dans la mesure où la contribution au développement économique du Québec a été, et est toujours, la principale raison d’exister de la Caisse (Morin et Megas, 2012). Le modèle québécois repose en grande partie sur la concertation des acteurs collectifs - associations patronales, syndicats, mouvement coopératif, institutions publiques - qui ont visé l’émancipation économique du Québec dans les années 1960, mais aussi le soutien aux entreprises pilotées par les Québécois francophones. De fait, c’est à ce moment que le Québec a accéléré sa modernisation : entre 1960 et 2000, le PIB par habitant a crû de 33 % (18 % pour le Canada) et l’écart de richesse entre le Québec et l’Ontario s’est réduit de 14 % dans la même période (Hanin, 2005, p.10). La Caisse a été l’une des pierres angulaires de cette gigantesque entreprise collective.
Ce deuxième volet vise donc à approfondir les raisons de la création de la Caisse en 1965, en tant qu’instrument de la maîtrise du développement du Québec, de même qu’à identifier les acteurs qui ont contribué à l’élaboration de ses mandats. Dans une première partie de ce dossier, nous explorons d’abord le raisonnement économique ayant mené à la création de la Caisse en présentant les premières ébauches du Conseil d’orientation économique du Québec (COEQ). Nous verrons également comment le modèle français de la Caisse des dépôts et consignations a inspiré les acteurs du modèle québécois. Nous préciserons dans cette première grande section comment la volonté d’émanciper l’économie québécoise francophone, soumise avant 1960 au syndicat financier anglophone, a façonné la double mission de la Caisse.
La deuxième partie de ce dossier sera consacrée à l’institutionnalisation de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Nous présenterons la composition initiale du conseil d’administration de la Caisse, ainsi que les dispositifs permettant d’éviter les conflits d’intérêts. Nous expliquerons également en quoi le lien avec le gouvernement et le double mandat de la caisse ont orienté sa politique de placements.
Tout comme le premier volet de la série portant sur les origines du Régime de rentes du Québec, ce dossier vise, en resituant le cadre institutionnel d’ensemble, à contribuer à une meilleure connaissance du modèle québécois de la retraite, ainsi qu’à contribuer à la réflexion portant sur son redéploiement au XXIe siècle.