Le prix du crabe des neiges au Québec : contexte et perspectives pour 2024
Une tendance à l’horizon ?
À la veille de l’ouverture de la saison 2024 de pêche au crabe des neiges dans le Saint-Laurent, les prix au débarquement offerts par les transformateurs s’annoncent bas. En 2023, le marché japonais s’est vu inondé de produits russes bon marché, privant l’industrie terre-neuvienne de l’un de ses grands acheteurs, et la forçant à se concentrer sur les États-Unis[1]. Ce marché, saturé depuis 2022 et étant la principale destination (93 %) des exportations internationales de crabes des neiges du Québec depuis près de vingt ans[2], rend les pêcheurs et les transformateurs du Québec maritime particulièrement vulnérables devant la concurrence étrangère et la conjoncture mondiale[3].
En 2023, les pêcheurs ont connu une baisse vertigineuse de leurs revenus globaux, et ce, malgré l’accroissement des contingents émis (quotas) et des volumes pêchés[4]. Et pour cause : le prix moyen au débarquement est passé de 15,56 $ le kilogramme en 2022 à 5,05 $ en 2023, soit un déclin de 67,5 %.
Source : compilation de l’IRÉC[5]
Ajusté à l’inflation, le prix au débarquement observé l’an dernier s’approche ainsi d’un creux qui n’avait pas été atteint depuis plus de douze ans, replongeant les crabiers québécois dans une situation similaire à la stagnation vécue entre 2005 et 2010. Au cours de cette période, le prix au débarquement a atteint une moyenne de 4,83 $ le kilogramme, c’est-à-dire un prix qui compromettait la rentabilité des activités de plusieurs entreprises. La crise avait été telle qu’un plan de rationalisation (rachat de permis pour en diminuer le nombre) avait été instauré afin de rétablir des conditions viables pour le futur de cette pêcherie[6].
Des défis pour une importante pêcherie d’ici
En 2024, alors que certains s’attendent à un prix au débarquement semblable à l’an passé[7], la rentabilité des crabiers apparaît de nouveau compromise. Toutefois, les quotas généralement élevés leur permettront vraisemblablement de compenser en partie leurs pertes de profit par les quantités vendues, comme ils l’ont fait en 2023. En effet, le volume des débarquements est en hausse depuis quelques années et la saison de pêche actuelle devrait une fois de plus donner des captures abondantes, malgré un total autorisé plus modeste[8].
Cela dit, il importe de relativiser l’ampleur de la chute actuelle en soulignant que, dans sa structure même, l’économie du crabe des neiges a toujours vogué au gré des conjonctures, et aux dépens de ses pêcheurs et de ses transformateurs. Cette pêcherie, dépendante des marchés d’exportation – et à plus forte raison d’un seul marché, les États-Unis –, n’a que peu d’emprise sur les contextes économique et écologique global dans lesquels elle se place. Même les outils de négociation collective des conditions de mise en marché, dont se dotent certains pêcheurs (le plan conjoint des crabiers de la zone 16, sur la Côte-Nord, en l’occurrence) afin de bénéficier d’une certaine stabilité et prévisibilité dans les prix au débarquement, ne parviennent plus à jouer leur rôle.
Effectivement, en avril 2023, malgré la décision de la Cour supérieure du Québec qui tranchait en faveur des crabiers afin de faire respecter le prix fixé par la convention de mise en marché[9], les transformateurs, captifs des conditions du marché de Boston[10], sont parvenus à faire plier les pêcheurs pour qu’ils acceptent un prix inférieur, analogue à celui en vigueur dans les autres zones de pêche du Québec maritime et du Canada atlantique[11]. En l’état actuel, le poids de la concurrence étrangère semble donc l’emporter sur tout mécanisme institutionnel dont disposent les pêcheurs pour encadrer les forces du marché et assurer la viabilité de leurs entreprises.
[1] Antle, S. (2023). « N.L. snow crab sales to Japan displaced by low Russian prices, MP says », CBC News. 22 janvier, [en ligne].
[2] Il s’agit d’une moyenne annuelle calculée pour les années 2005 à 2023, à partir des données de L’application Web sur le commerce international de marchandises du Canada.
[3] Bérubé, J. (2024). « Les mots et les maux de la pêche en 2023 », Radio-Canada, 3 janvier, [en ligne].
[4] 15 mille tonnes de crabes des neiges ont été pêchées au Québec en 2023, soit une augmentation de 12,8 % par rapport à l’année précédente, alors que la valeur totale des débarquements a chuté de 208 à 77 millions de dollars (dollars constants de 2023). Gagné, G. (2023). « Crabe des neiges : la baisse de prix fait chuter les revenus globaux des pêcheurs », Pêche Impact, 18 décembre, [en ligne].
[5] Cette compilation vient, pour les années 2000 à 2021, des données sur les débarquements des pêches maritimes (Quantités par province et Valeurs par province) du MPO. Pour 2022, la quantité et la valeur des débarquements viennent de Gagné, G. (2022). « Pêche au crabe des neiges : la hausse des quotas a contrebalancé des prix moins élevés que prévus », Pêche Impact, 12 décembre, [en ligne], tandis que pour 2023 elles viennent de Gagné, G. (2023). Op. cit. Notons que pour ces deux dernières années, les données sont provisoires. Enfin, les prix ont été ramenés en dollars constants avec pour base de calcul l’année 2023 à l’aide de la feuille de calcul de l’inflation de la Banque du Canada.
[6] Voir Bourgault-Faucher, G et L’Italien, F. (2022). Le prix du crabe des neiges : comprendre les mécanismes et les enjeux économiques, IRÉC, [en ligne], p. 6.
[7] Courtemanche, A. (2024). « La pêche au crabe des neiges débutera le 24 mars dans la zone 17 », Radio-Canada, 15 mars, [en ligne].
[8] Gagné, G. (2024). « Baisse de la biomasse commerciale de crabe des neiges dans le sud du golfe Saint-Laurent et baisse anticipée des contingents », Pêche Impact, 5 mars, [en ligne] et Fournier, J. (2024). « Abondance observée des stocks de crabe des neiges dans la plupart des zones de pêche », Pêche Impact, 5 mars, [en ligne].
[9] Ducornait, B. (2023). « La Cour supérieure a tranché : les pêcheurs de crabe vont prendre la mer dans la zone 16 », Ma Côte-Nord, 18 avril, [en ligne].
[10] Arsenal Media (2023). « Crabe | Le prix sur la Côte-Nord fait réagir en Gaspésie », Ma Côte-Nord, 19 avril, [en ligne].
[11] Fournier, J. (2023). « Malgré trois semaines de retard dans la zone 16, crabiers et transformateurs trouvent leur compte », Pêche Impact, 11 mai, [en ligne].