Agir maintenant - Mémoire présenté à la CAPERN
Le domaine agricole québécois est un joyau précieux. Il faut saluer l’intention du gouverne-ment du Québec de faire un geste de plus pour le protéger. L’étendue de notre domaine agricole – à peine 2 % du territoire national – nous contraint à y voir de près. Ressource naturelle névralgique, le sol québécois donne des assises fortes à notre agriculture, en assure et définit le potentiel pour des usages encore à inventer. Il fixe les conditions d’attachement et d’appartenance pour les collectivités qui le mettent en valeur et donnent aux régions leur originalité et leur attrait. Il ne faut pas se tromper : protéger le domaine agricole n’est pas d’abord une mesure défensive, c’est l’affirmation d’une aspiration à pérenniser les acquis du travail des générations antérieures qui l’ont façonné, pour continuer de les offrir aux générations montantes comme un espace de possibles. À cet égard, le présent projet de loi fait partie d’une réponse cohérente à des changements que l’évolution rapide de l’économie serait susceptible d’imposer comme des fatalités alors que des choix sont possibles.
L’intérêt pour l’acquisition du sol est certes aussi vieux que la spéculation elle-même, bien qu’il convienne de prendre la mesure de ce qui se dessine derrière les tendances récentes marquant les dynamiques du marché foncier, en particulier celles qui affectent le domaine foncier agricole. Un peu partout dans le monde s’observe, en effet, des pratiques d’acquisition et de valorisation du domaine agricole qui témoigne d’une recrudescence de la concentration de la propriété foncière qui placent dans les mains de sociétés financières – certaines ayant des tailles gigantesques - d’immenses domaines dont la mise en valeur change radicalement le sens de ce que l’on considérait jusqu’ici comme la grande propriété agricole. Au travers la constitution de ces grands domaines fonciers, c’est une autre agriculture qui est en train de s’étendre, une agriculture non seulement hautement industrialisée, mais encore et surtout, dépourvue de liens avec les collectivités qui ont mis en valeur le territoire : dans certains cas, les producteurs sont littéralement évincés et contraints de devenir des salariés agricoles sur des terres dont ils avaient auparavant la copropriété et l’usage.
Le Québec n’est certes pas encore affecté par ces changements qui, pourtant, sont à nos por-tes. En effet, on peut d’ores et déjà observer des pratiques de concentration un peu partout sur le continent nord-américain. Ailleurs dans le monde, en Asie et en Afrique en particulier, ces pratiques ont déjà atteint des seuils critiques où des géants transnationaux imposent leurs choix avec une force qui neutralisent, bien souvent, les priorités fixées par les politiques agricoles nationales. La vigilance et une saine attitude de précaution s’imposent donc, car notre agriculture ne se développe pas à l’abri du monde et notre réalité de nation exportatrice l’insère d’ores et déjà dans un réseau de rapports économiques et financiers qui pèsent sur son évolution. Une Loi modifiant la Loi sur l’acquisition de terres agricoles par des non-résidents constitue une mesure essentielle pour s’assurer que l’évolution de notre agriculture ne soit pas davantage exposée à des forces susceptibles de faire peser sur nos choix publics les priorités et les manières de faire de grandes sociétés de capitaux investissant dans l’agriculture.
Le présent mémoire entend cependant plaider que le projet de loi actuellement à l’étude est incomplet et qu’il doit être bonifié. Il faut ajouter aux dispositions actuellement prévues des mesures visant à empêcher qu’une agriculture de capitaux ne s’immisce dans le domaine foncier et la structure agricole du Québec. Elle qu’elle ne menace la ferme familiale et notre agriculture de producteurs. Il ne faut pas seulement limiter au maximum et encadrer l’acquisition des terres par des non-résidents : il faut également prendre les moyens pour que la terre reste entre les mains des agriculteurs de métiers, et non entre celles de sociétés financières qui feraient primer les stratégies de portefeuille sur la pratique du métier.