Reprendre l'initiative - Mémoire présenté à la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN), à l’occasion d’un mandat d’initiative sur l’accaparement des terres agricoles

Le territoire agricole du Québec est un atout précieux, mais fragile. Ce terroir est très limité — à peine 2 % de tout le territoire — et il a déjà subi des dommages considérables. En dépit des mesures législatives et d’aménagement que le gouvernement du Québec a adoptées au cours des dernières décennies, des pressions fortes et constantes continuent de s’exercer sur le domaine agricole, pressions qui visent tantôt à le réduire par un changement de zonage et de vocation, tantôt à modifier radicalement ses modes d’occupation et de mise en valeur. La vigilance s’impose à la fois pour préserver l’agriculture et assurer les conditions de base de notre souveraineté alimentaire.

À cet égard, il faut saluer l’initiative de la Commission visant à faire le point sur la question de l’accaparement des terres au Québec. Les changements en cours dans le domaine agricole entraînés par ce phénomène justifient amplement un exercice de réflexion comme celui auquel nous sommes heureux de participer. Cet exercice s’inscrit dans un débat de fond sur l’agriculture québécoise, un débat qui, souhaitons-le, contribuera à rapprocher et renouveler le dialogue entre les parties prenantes du modèle agricole québécois. Parce qu’elle est susceptible de changer profondément le visage du Québec rural et agricole, la dynamique de l’accaparement des terres doit faire l’objet d’un questionnement collectif approfondi, car il serait téméraire et risqué de la laisser se déployer sans que l’ampleur de ses conséquences à moyen et long terme n’ait pas été clairement envisagée.

Nous souhaitons dans ce mémoire faire valoir quatre ordres de considérations visant à mieux faire comprendre l’évolution en cours, et plaidant en faveur d’une intervention forte des pouvoirs publics et des parties prenantes du modèle agricole québécois :

1. Le premier vise à souligner l’importance de bien cadrer la question de l’accaparement des terres au Québec, ce qui signifie d’abord de mettre en évidence les caractéristiques économiques de la logique sous-jacente qui porte ce phénomène. Que le Québec n’en subisse pas les effets de la même manière que certains pays du Sud ne signifie en rien que la logique à l’œuvre soit différente : l’accaparement des terres renvoie partout à un changement de paradigme qui fragilise les bases de l’agriculture familiale.

2. Le second met en relief une particularité du développement de l’accaparement des terres au Québec : celui-ci en effet peut d’autant plus facilement se déployer qu’il profite d’une brèche de l’encadrement législatif et réglementaire. Cette brèche est créée par l’absence d’institutions permettant le suivi et l’encadrement des transactions sur le foncier agricole par des gestionnaires de fonds. Non seulement la Loi sur l’acquisition de terres par des non-résidents (LATANR) n’a pas été complétée par des lois et règlements limitant l’emprise des investisseurs québécois sur le territoire et les activités agricoles, mais cette loi a en quelque sorte créé une enclave protégée pour les promoteurs locaux de l’agriculture de capitaux.

3. Le troisième vise à faire réaliser que la situation et les performances de l’agriculture familiale ne laissent voir aucune faiblesse structurelle qui pourrait inciter à laisser tolérer la présence d’une agriculture de capitaux sous prétexte qu’elle servirait mieux nos besoins et notre développement. Le modèle d’affaire des fermes familiales au Québec, tout en étant perfectible, donne des résultats fort appréciables. Le modèle agricole québécois n’a pas épuisé son potentiel et il peut relever les défis de son développement en misant sur ses acquis, pour autant que lui soient conférés les moyens de rivaliser avec des acteurs disposant de ressources financières considérables.

4. Le dernier ordre de considération plaide en faveur de la création d’une institution parapublique vouée à la veille stratégique sur les transactions foncières, ainsi qu’au déploiement de moyens adaptés pour soutenir la relève et faciliter le transfert des établissements agricoles. Une telle institution procurerait aux régions un actif de taille pour la maîtrise de leur développement agricole. Elle favoriserait le développement optimal du potentiel agricole du territoire en mettant en place des mécanismes de mitigation des effets non souhaités d’un marché laissé à lui-même et susceptible de perturber l’aménagement du territoire et le devenir des communautés rurales.

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