Accord économique et commercial global Canada-Europe : quelles conséquences pour le Québec?
Depuis le sommet canado-européen de Prague, en mai 2009, des négociations entre le Canada et l’Union européenne (UE) sont menées dans le but de conclure un Accord économique et commercial global (AÉCG). Selon les négociateurs et les membres du gouvernement canadien, les pourparlers avancent rondement, ce qui permet d’espérer la signature d’une entente en 2011.
Si plusieurs observateurs ont souligné la présence des provinces aux tables de négociations, celle-ci ne constitue pas une évolution significative de la pratique du fédéralisme canadien. En fait, leur présence est une exigence de la part des Européens et n’a pour but que d’assurer la mise en œuvre de l’accord. Les représentants provinciaux sont membres de la délégation canadienne et ne peuvent participer directement aux négociations.
Bien que de nombreux autres aspects du texte de l’accord auraient pu être examinés, le rapport traite essentiellement de la libéralisation des marchés publics subfédéraux. L’AÉCG a une portée et un champ d’application très étendu qui comprennent l’ensemble des contrats octroyés par les gouvernements des provinces, des municipalités et des entités adjudicatrices (sociétés d’État, organismes publics et parapublics, etc.). Il impose le principe de la non-discrimination envers les fournisseurs étrangers et interdit de favoriser les entreprises locales. De plus, le texte de l’accord prohibe l’utilisation des opérations de compensation ( «offsets »), des mesures qui encouragent le développement local et restreignent la latitude des autorités dans l’élaboration des conditions de participation aux appels d’offres et l’évaluation des marchés publics.
Ces nouvelles restrictions auront pour conséquences une réduction significative de la marge de manœuvre des provinces en matière de marchés publics. Une moins grande flexibilité des règles concernant les contrats publics empêchera les autorités publiques de mener à bien des objectifs économiques, sociaux et environnementaux, jadis poursuivis comme objectifs secondaires dans les marchés publics. L’AÉCG emprisonnera les gouvernements dans une logique d’octroi des contrats au plus bas soumissionnaire.
Un tel accord nuirait au développement local et régional du Québec. Le principe de non-discrimination empêcherait les autorités de favoriser une entreprise dont les activités sont concentrées au Québec. Par exemple, sa mise en œuvre aurait rendu impossible l’octroi du contrat du métro de Montréal au consortium Bombardier-Alstom l’automne dernier, privant ainsi la région du Bas-Saint-Laurent de nombreux emplois à La Pocatière.
L’AÉCG constituerait aussi une menace sérieuse aux politiques de protection de l’environnement mises en place par les gouvernements via les marchés publics. Les prescriptions en matière de procédés et de méthodes de production plus respectueux de l’environnement ne pourraient être conformes aux dispositions interdisant les barrières non nécessaires au commerce. Ce faisant, l’accord pourrait bien imposer des règles qui favorisent les entreprises sur le territoire des États dont les lois sont plus permissives sur le plan environnemental.
Il semble que la promotion des droits sociaux et la libéralisation des marchés publics soient difficilement conciliables. D’une part, la législation québécoise en matière de promotion des droits sociaux devrait être probablement modifiée et, d’autre part, les entreprises dont les activités se concentrent dans les États où les salaires sont bas et le taux de syndicalisation faible auraient un net avantage lors des appels d’offres. Pour les syndicats canadiens, québécois et européens, il y a un danger de nivellement par le bas en matière de normes sociales.
Il est clair que l’AÉCG limiterait la souveraineté économique du gouvernement du Québec et des autres provinces. Dans un contexte de crise économique, les règles interdisant les opérations de compensation et de non-discrimination réduiraient l’efficacité de la politique budgétaire des provinces.
Dans la dernière partie du rapport, les soi-disant avantages de la libéralisation des marchés sont mis en doute. En fait, plusieurs auteurs sont critiques par rapport aux prétendus bienfaits d’un libre-échange étendu aux marchés publics. Une analyse plus poussée est nécessaire avant d’arriver à la conclusion que l’ouverture des marchés publics à la compétition internationale permet des économies d’argent public. De plus, la libéralisation n’est pas une condition obligatoire pour mettre en place des politiques favorisant la transparence et la lutte contre la corruption tout comme la poursuite d’objectifs secondaires en matière environnementale, sociale et économique n’est pas incompatible avec des règles éthiques élevées. Qui plus est, il n’a pas été démontré que la libéralisation des marchés publics fait augmenter le bien-être économique des sociétés.
Le grand gagnant de cette négociation sera fort probablement le secteur privé. En effet, plusieurs observateurs ont fait valoir que l’accord était, à tort ou à raison, calqué sur les besoins des grandes entreprises. En outre, les retombées économiques consécutives à la mise en œuvre de l’accord seraient distribuées inégalement entre les régions du Canada.
Finalement, il faut souligner que les négociations manquent de légitimité démocratique. L’insuffisance de consultations, l’importance des montants d’argent public en jeu et l’absence de mandat de négociations pour les gouvernements de la part de leurs électeurs fet électrices ait en sorte que la population est complètement exclue du processus.