Le Québec rate sa cible. Les efforts du Québec en matière de francisation et d'immigration : un portrait
À l’horizon 2031, les francophones ne représenteront plus que 1,7 % de la population canadienne hors Québec. Le Québec est donc appelé à devenir le havre de la francophonie au Canada. Or, au Québec, l’objectif de faire du français la langue commune de tous les citoyens s’éloigne progressivement.
La question linguistique revêt une importance singulière au Québec. En raison de sa situation de nation minoritaire établie au sein d’un large ensemble anglophone, l’adoption par les immigrants de la langue de la majorité francophone ne va pas de soi. Un État volontaire est donc plus qu’ailleurs dans le monde, indispensable à la préservation d’une langue commune à tous les citoyens. De ce refus du laisser-faire linguistique sont nées la Loi 22 en 1974 qui fait du français la seule langue officielle du Québec, puis la Charte de la langue française (Loi 101) adoptée le 26 août 1977 qui définit l’aménagement linguistique.
À l’heure où le Gouvernement du Québec souhaite hausser davantage les seuils d’immigration, il est nécessaire de faire une évaluation précise des efforts en matière de francisation des immigrants. Ce rapport vise à évaluer la cohérence des actions prises par le Gouvernement du Québec depuis 1991 pour atteindre l’objectif de la Charte de la langue française de faire du français la langue commune de tous les Québécois.
L’action du Gouvernement du Québec repose sur trois piliers principaux : 1) la politique linguistique qui touche notamment à la langue d’enseignement et aux pratiques linguistiques dans les institutions publiques et dans les entreprises, 2) la politique migratoire à travers la sélection d’immigrants connaissant le français et 3) les programmes de francisation des immigrants non francophones.
Le chapitre 1 dresse un portrait des perspectives démolinguistiques au Québec. Nous montrons les tendances préoccupantes, particulièrement à Montréal, en ce qui concerne l’avenir du français comme langue commune. Nous montrons que la composition actuelle de l’immigration et sa concentration dans la région métropolitaine de Montréal, où est installée la population anglophone et anglicisée du Québec, créent un effet de milieu qui nuit à la francisation des immigrants et contribue à accroître le clivage entre un Montréal de moins en moins francophone et le reste du Québec. Nous abordons aussi dans ce premier chapitre les tendances en matière de pratiques linguistiques en milieu de travail et la responsabilité des institutions publiques dans le maintien du français comme langue commune. Nous soulignons l’incohérence que constitue le bilinguisme institutionnel par rapport à l’esprit de la Loi 101 et ses effets négatifs sur l’intégration linguistique des immigrants.
Ce rapport s’intéresse plus particulièrement aux programmes de francisation des immigrants non francophones. La volonté du Québec de contrôler davantage la politique d’immigration a poussé le gouvernement fédéral à consentir progressivement à une décentralisation des pouvoirs en la matière. Dans la foulée de l’échec de l’Accord du lac Meech, des négociations bilatérales ont débouché en 1991 sur l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains qui établit un mode de gouvernance multiniveau de la politique d’immigration et qui octroie au Gouvernement du Québec la responsabilité exclusive en matière d’intégration linguistique des immigrants1. Notre objectif étant de dresser le portrait de l’action du Gouvernement du Québec en matière d’intégration linguistique, nous concentrons notre analyse sur la période de 1991 à nos jours. Le chapitre 2 expose les responsabilités en matière d’immigration de chacun des paliers de gouvernement. Pour s’acquitter des responsabilités qui lui incombent en vertu de l’Accord Canada-Québec et assurer l’intégration linguistique des immigrants non francophones, le Québec a déployé un réseau de cours de français et de soutien aux nouveaux arrivants. Ce réseau s’est considérablement diversifié au fil du temps, afin de mieux s’adapter aux immigrants. Initialement plutôt centralisée, consistant en cours offerts directement par le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC), l’offre de cours de français s’est organisée en un vaste réseau faisant appel à des partenaires institutionnels, privés et communautaires. Cette diversification de l’offre en francisation vient avec son lot d’inefficacité. La principale fut d’instaurer un régime de concurrence entre les partenaires en francisation à l’avantage du MICC. Le chapitre 3 dresse un portrait d’ensemble du réseau de francisation. Nous détaillons l’effort des différents partenaires en francisation, l’évolution des effectifs d’étudiants et du nombre de classes ainsi que le bilan des apprentissages. Le chapitre 4 détaille l’utilisation des transferts fédéraux reçus en vertu de l’Accord Canada-Québec. La répartition des transferts révèle la décentralisation des services d’intégration et de francisation vers les différents ministères. Il ressort de ce chapitre que le soutien financier aux programmes d’intégration et de francisation a augmenté sur la période étudiée. L’étude des crédits vient invalider la thèse selon laquelle le Gouvernement du Québec retourne une partie de l’enveloppe fédérale au fonds consolidé. En effet, sur l’ensemble de la période étudiée, le Gouvernement du Québec a majoré le financement des programmes d’intégration à partir de ses fonds propres en plus de ce qu’il a reçu du gouvernement fédéral. Par contre, sur la période 2010 à nos jours, le ministère de l’Immigration a retourné plus de 70 M$ au fonds consolidé alors même que le nombre d’immigrants ne connaissant pas le français est en augmentation et que le financement des services de francisation dans les trois ministères concernés est en baisse depuis 2011.