L'endettement des fermes au Québec : un portrait contrasté
Depuis le début des années 2000, l’endettement des fermes est devenu un thème central dans les débats sur l’avenir de l’agriculture au Québec. Au carrefour des dynamiques économiques agricoles et des politiques publiques, ce thème est au cœur des choix de développement de l’agriculture québécoise réalisés au cours des dernières décennies. Ces choix ont pris appui sur un arrangement institutionnel particulier misant sur la complémentarité des capacités d’initiative des producteurs agricoles et sur des mécanismes de soutien adaptés aux conditions d’opération dans le secteur.
Parmi les documents ayant contribué à relancer le débat sur la question de l’endettement, le Rapport St-Pierre publié en 2009 a proposé une interprétation particulière de la situation financière des fermes au Québec. Selon ce rapport, le haut niveau d’endettement des fermes québécoises serait principalement attribuable à la nature même des programmes de financement tels que l’ASRA, programmes qui éloigneraient les producteurs des signaux de marché et introduiraient des distorsions structurelles entraînant une hausse problématique du niveau d’endettement des fermes. Ainsi, « le Programme ASRA, combiné à la gestion de l’offre, procure à 90 % des entreprises agricoles québécoises un cadre sécuritaire sans pareil. La garantie de revenus sur laquelle elles ont pu compter a créé des conditions favorables à un endettement qui est devenu excessif » (St-Pierre, 2009 : 24).
Selon le rapport, le niveau d’endettement moyen des établissements agricoles au Québec aurait atteint un seuil critique : au regard des ratios moyens d’endettement prévalant à l’échelle canadienne, l’agriculture québécoise serait surendettée. Pour remédier à une situation devenue dramatique, le Rapport St-Pierre propose de convertir le programme d’assurance collective où sont mutualisés les risques associés aux variations de marché, en un programme d’assurance individualisé où les producteurs seraient appelés à s’exposer davantage aux conditions de marché.
Au regard des données financières disponibles, il est possible d’interroger aussi bien le diagnostic que le traitement proposés par le Rapport St-Pierre. D’une part, il n’est pas certain que l’endettement des fermes au Québec est devenu à ce point « excessif » : entre un endettement important, qui pourrait à l’avenir devenir préoccupant et une situation de surendettement, il y a une marge importante. Ainsi, si cet endettement est en mesure de se traduire par une augmentation de la rentabilité des capitaux propres des producteurs, c’est-à-dire de produire un effet de levier positif, il sera plus difficile de parler de surendettement. D’autre part, rien n’indique que la solution au problème de l’endettement des fermes doit nécessairement passer par l’abandon de l’actuel paradigme de gestion des risques. Laisser entendre que l’accroissement de l’insécurité est un meilleur moyen de gérer le risque et d’améliorer la situation de l’agriculture au Québec est au minimum discutable.
Le présent rapport de recherche voudrait jeter un regard nuancé sur la situation financière et la question de l’endettement des fermes, un regard mettant en perspective les performances financières de l’agriculture québécoise. Des comparaisons avec le reste du Canada et les États-Unis sont certes importantes à faire, mais encore faut-il comparer des comparables : l’agriculture au Québec s’est déployée grâce à des mécanismes institutionnels issus des choix de société importants qui ont forgé un modèle agricole particulier. C’est sur le fond de ces mécanismes que les producteurs agricoles du Québec élaborent des stratégies de développement qui se sont insérées dans des univers de contraintes et de possibilités qu’il faut prendre en compte et évaluer le plus fidèlement possible
Les débats collectifs qui définissent les balises du modèle agricole québécois et qui spécifient les modalités par lesquelles l’agriculture pourra relever les défis qui pointent à l’horizon nécessitent des éclairages de cet ordre. Il s’agit d’abord de bien cadrer les problématiques, dont celle de l’endettement, afin d’esquisser des propositions adaptées aux caractéristiques des établissements agricoles de toutes les régions du Québec.Ce rapport est composé de quatre chapitres :
1. Celui sur la « Régulation des marchés agricoles et sécurité du revenu » revient sur les choix de société qui ont prévalu dans l’élaboration des politiques de soutien à l’agriculture québécoise;
2. Celui sur les « Les transformations des politiques agricoles de financement et de cré-dit » présente de quelles manières le modèle agricole québécois s’est progressivement adapté aux transformations financières de son environnement;
3. Celui sur le « Survol du profil financier de l’agriculture au Québec » vise à brosser un tableau contrasté de l’endettement et de ses principaux effets sur l’agriculture québécoise, ainsi que de dynamiques financières propres aux différents secteurs de production;
4. Celui sur « La situation financière de l’agriculture au Québec en perspective : une comparaison avec le Canada » propose de mettre en perspective les principales caractéristiques financières de l’agriculture québécoise en les comparant avec l’ensemble canadien.