Universités ou foires marchandes? Le partenariat public-privé et les errances du monde universitaire. Un cas et son clone.
Voilà déjà plusieurs années que le monde universitaire québécois donne l’impression de s’en aller en démanche. Crise immobilière et marasme financier à l’UQAM, dérive malsaine des projets de méga-hôpitaux universitaires, conduite erratique de l’Université de Montréal dans le dossier de l’acquisition de la Maison mère des Sœurs du Saint Nom de Jésus et Marie, débats aussi virulents que confus autour du développement de son éventuel campus de la gare de triage d’Outremont, la liste pourrait s’allonger. Aux aventures immobilières s’ajoutent les débats acrimonieux sur l’accroissement des droits de scolarité, les inquiétudes grandissantes à l’égard du décrochage savant qui affecte les étudiants des cycles supérieurs et les cris d’alarme régulièrement lancés pour attirer l’attention sur le sous-financement de la recherche. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les perspectives sont confuses, qu’il est difficile de faire une lecture d’ensemble et plus ardu, encore, d’en tirer quelque conclusion générale.
En pleine crise économique, les choses s’embrouillent encore davantage du fait que le monde de l’éducation, et le monde universitaire en particulier, se plaint désormais trop souvent dans le même langage que celui des gens d’affaires. Il faudrait y investir au nom de la compétitivité, se donner des normes pour répondre aux exigences de la concurrence mondiale, raffermir les liens universités-entreprises pour accroître la capacité d’innovation et relever les défis de l’économie du savoir. Cette façon de voir s’est répandue comme un virus dans le tissu social au point de brouiller les repères qui permettraient de juger de l’intérêt public selon des critères plus larges que ceux qu’impose la rhétorique de la rentabilité et de l’investissement.
Les efforts à consentir collectivement pour maintenir et développer notre système universitaire peuvent effectivement servir à redresser notre économie. Ils ne donneront toutefois pleinement leurs fruits que s’ils s’inscrivent dans une vision de l’équité sociale et de développement de l’égalité des chances, ce qui relève de l’établissement d’objectifs sociopolitiques d’abord et avant tout. Depuis une quarantaine d’années le Québec a réalisé des progrès spectaculaires en matière d’accès à l’enseignement supérieur, à partir de l’idée générale selon laquelle il constitue « un droit pour ceux qui en ont les capacités et la volonté ».1 Et cela a grandement contribué à l’élargissement et au renforcement des classes moyennes aussi bien qu’au rehaussement de la qualité des services publics et à la diversification de l’économie. Ces effets bénéfiques ont été recherchés et atteints sur la foi de consensus sociaux fermes qui, dans le prolongement de la Révolution tranquille, ont justifié l’appui des contribuables à consentir des ressources considérables au développement de l’institution.
Rien ne permet de douter que ces consensus ne puissent être refaits au sujet de la nécessité de faire un effort supplémentaire pour en finir avec le discours de misère qui domine depuis trop longtemps les interventions des universitaires dans le débat public. Mais pour que la mobilisation soit possible, il faut une lecture claire de la situation, lecture, il faut bien le concéder, de plus en plus difficile tant est grande la confusion qui entoure l’expression même de la raison d’être de l’université et des motifs qui militent en faveur de ce que d’aucuns considèrent comme un sauvetage.
Les choses sont certes complexes lorsque l’on tente de cerner les enjeux du développement universitaire mais elles ne sont pas obligatoirement compliquées. La transparence de l’information et une qualité d’expression dans un langage clair sont sans aucun doute des préalables auxquels responsables et gestionnaires ne pourront échapper. Et à cet égard, les brumes qui entourent les projets immobiliers réalisés en partenariat public-privé, les désormais célèbres PPP, constituent sans aucun doute l’illustration parfaite de la première tâche qui s’impose pour bien saisir la dynamique de développement qui marque un trop grand nombre d’établissements.
L’examen méticuleux de ce que comporte une entente de PPP permettra de bien mettre en lumière les présupposés et les choix implicites qui compliquent la compréhension de ce qui se passe quand une université se lance dans des projets immobiliers tout en criant famine et en affichant, année après année, des déficits de fonctionnement. Solution acceptable, voie de développement, renouveau souhaitable, dérive marchande, mission dévoyée ou détournement de l’intérêt public ? Autant de questions qui surgissent et qui ne trouveront réponse qu’après examen des faits. Les pages qui suivent s’y emploient avec l’espoir que les débats sortent des formulations idéologiques toutes faites pour se faire sur le terrain solide des pratiques. Il faut en finir avec les faux-fuyants et retrouver le sens du réel et la vérité des faits. Cela permettra de distinguer les contraintes réelles des faux dilemmes, les réponses à la pénurie des adaptations maladroites à la pauvreté de moyens. Le sort de l’université québécoise pourra dès lors être débattu en toute connaissance de cause.