Cette thèse est une contribution à l’approfondissement des connaissances sur le modèle de gestion décentralisée des aires protégées à partir du cas de la forêt de Bangassou en Centrafrique. L’objectif visé est d’évaluer les enjeux qui entourent cette gestion décentralisée d’un important espace forestier situé dans la partie Sud-est du pays, afin d’explorer des pistes de bonification de ce modèle pour favoriser son appropriation complète par les acteurs locaux. Il s’agit d’une évaluation ex post de ce projet pilote de conservation et d’utilisation durable des ressources forestières. Le contexte de sa création résulte du fait qu’après avoir constaté que la gestion centralisée des aires protégées par l’État crée souvent des conflits avec les riverains qui dépendent des ressources naturelles pour leur survie, la République centrafricaine a mis en place une nouvelle stratégie axée sur l’approche participative permettant de responsabiliser et d’impliquer les populations locales dans le processus de cogestion des ressources naturelles.
La recherche menée sur le terrain est axée sur une évaluation participative afin d’amener les différents acteurs rencontrés à faire le point sur les facteurs de succès du projet de gestion forestière décentralisée implanté dans leur région et les contraintes liées à son appropriation. La grille de cette évaluation participative s’est inspirée du cadre d’évaluation de l’efficacité de la gestion des aires protégées élaboré par le professeur-chercheur Hockings et ses collaborateurs (2006 et 2008) pour le compte de la Commission mondiale des aires protégées (CMAP). Il s’agit de mesurer les six aspects clés suivants : le contexte de création d’une aire protégée (potentiels et menaces) ; la planification de la gestion du site ; les intrants (inputs – ressources ou moyens d’action) ; le processus de gestion ; les extrants en termes d’effets immédiats (outputs) ; enfin, les résultats en termes de durabilité (outcomes). Le choix de ce cadre d’évaluation se justifie par le fait que cela est devenu la référence mondiale en matière de gestion des aires protégées et cadre bien avec notre objet d’étude.
Les principaux résultats issus de cette recherche révèlent que les impacts du Projet Forêt de Bangassou sont globalement positifs au plan écologique et socio-économique. Au niveau des impacts sur le milieu de vie, on assiste à la régénération de la flore et au repeuplement des espèces fauniques. Les facteurs ayant contribué à la restauration de cet équilibre écologique sont entre autres : l’éducation environnementale à travers les campagnes de sensibilisation et la vulgarisation des codes forestiers et de la faune ; le respect des limites du zonage élaboré avec le concours des acteurs locaux ; la surveillance communautaire des feux de forêt ; la pratique de l’agroforesterie ; la lutte anti-braconnage ; l’aménagement et la protection des zones dédiées au tourisme de chasse ; l’usage des techniques d’exploitation durable des produits forestiers non ligneux. Concernant les retombées socio-économiques, le projet a contribué au désenclavement de la région à travers l’aménagement des routes rurales, la réhabilitation et la construction des ponts. En outre, des activités socio-économiques sont promues à travers l’instauration du fonds d’entreprise communautaire destiné à l’octroi des microcrédits en guise de mesure compensatoire, ce qui a permis de créer des emplois (directs et indirects) ayant contribué à accroître les revenus des ménages permettant d’améliorer leurs conditions de vie. Cependant, l’inconvénient majeur causé par le projet et fréquemment déploré par les populations locales concerne la poursuite judiciaire des bénéficiaires de microcrédits considérés comme des débiteurs insolvables.
En guise de suggestions, étant donné que la gestion décentralisée de la forêt de Bangassou constitue un modèle original fort bien réussi en dépit de certaines contraintes, trois pistes de bonification du modèle sont explorées afin de promouvoir son appropriation totale par les acteurs locaux. Cette bonification prend en compte les aspects politiques et juridiques, structurels et managériaux, financiers et socio-économiques. Sur le plan des droits fonciers, il est nécessaire et urgent de définir le statut juridique de la forêt de Bangassou tout en procédant à la reconnaissance officielle de son zonage et des textes juridiques d’appoint qui règlementent sa gestion. Car la gestion forestière décentralisée ne peut être couronnée de succès que si les acteurs locaux sont protégés par des instruments juridiques qui leur donnent plus de pouvoir et légitiment leurs actions sur le terrain. Concernant les aspects structurels et managériaux, il importe de revoir les trois éléments clés suivants : redéfinir les rôles du Comité de pilotage et de la Coordination préfectorale d’écodéveloppement qui chapeautent le RICAGIRN-FB ; fusionner le Réseau des femmes acquises à la cause d’écodéveloppement (REFAED) avec le RICAGIRN-FB afin de le redynamiser ; enfin, poursuivre le renforcement des capacités des acteurs locaux par la formation permanente. Les aspects financiers et socio-économiques mettent l’accent sur trois points essentiels : procéder à la réforme du fonds d’entreprise communautaire pour mieux le capitaliser et en faire un outil performant de développement local et régional ; promouvoir l’autofinancement du RICAGIRN-FB à travers la diversification de ses sources de revenu ; enfin, procéder à un plaidoyer pour mobiliser des ressources financières aux niveaux national et international en faveur de la gestion décentralisée de la forêt de Bangassou, afin de pérenniser son appropriation par les acteurs locaux.
Mots clés : Développement durable ; aires protégées ; forêt de Bangassou ; gestion décentralisée ; appropriation ; Centrafrique