La bilinguisation des services de santé et des services sociaux du Québec
La Charte de la langue française du Québec ou Loi 101 a essentiellement été créée pour garantir aux Québécois le droit de vivre unis sous une même langue : une langue commune au travail, à l’école, dans l’administration publique, dans les institutions étatiques. De la sorte, les législateurs espéraient permettre une plus grande cohésion sociale en adoptant une langue officielle, celle de la majorité de la population : le français.
Adoptée en 1977, la Charte entrait en contradiction avec la Loi sur les langues officielles du Canada, pierre angulaire du programme politique de Pierre-Éliott Trudeau, sanctionnée en 1969. Cette dernière loi décrète l’anglais et le français comme les deux langues officielles de l’ensemble du Canada. À cet effet, il est entendu que les communications dans les institutions fédérales doivent être faites ou à tout le moins être disponibles dans les deux langues officielles. Ainsi, tout ce qui relève de la fonction publique fédérale, de la justice ou du parlement canadien doit être disponible dans les deux langues. C’est en partie pour se protéger de ces mesures fédérales que la Loi 101 fut rédigée.
Dès 1983, à sa propre initiative, l’Assemblée nationale apporte des modifications à la Loi 101 afin de permettre aux organismes dits bilingues « d’appliquer en leur sein une politique accrue de bilinguisme institutionnel. » Aucune disposition, ni dans la Constitution canadienne ni dans la Loi sur les langues officielles, n’obligeait le gouvernement québécois à agir de la sorte.
Ainsi, le droit consenti par le gouvernement Bourassa en 1986 aux « personnes d’expression anglaise » (nous reviendrons sur ce concept plus tard) de recevoir leurs services de santé et leurs services sociaux en langue anglaise constitue une mesure qui contrevient fondamentalement à l’esprit de la Charte. Ce droit, inscrit dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux, représente plutôt les valeurs transmises dans la Loi sur les langues officielles du Canada.
Dans le présent rapport, nous verrons comment le gouvernement québécois, en institutionnalisant le droit des personnes d’expression anglaise de recevoir leurs services de santé et leurs services sociaux en anglais, a laissé se développer tout un dispositif et des pratiques minant la Loi 101. Nous verrons comment, en laissant à l’usager le choix de la langue dans laquelle il reçoit ses services, l’État ne sert pas l’intégration en français des nouveaux arrivants. L’architecture institutionnelle, en tâchant à la fois de protéger la langue française et de déployer en parallèle d’importantes mesures d’accommodement des personnes ne s’exprimant pas bien en français de l’autre, a plongé le système dans une situation qui crée et encourage la concurrence des modèles d’intégration; en ce sens, la politique linguistique menée par le Québec génère de l’ambigüité. Nous observerons ici les effets de cette distorsion sur l’offre québécoise des services de santé et des services sociaux, sur le droit de travailler en français ainsi que sur l’intégration de la population issue de l’immigration.
Pour ce faire, nous avons d’abord examiné les lois et les programmes gouvernementaux pertinents à la question :
- La Charte québécoise de la langue française;
- La Loi sur les langues officielles du Canada;
- La Loi sur les services de santé et les services sociaux;
- Les programmes régionaux d’accès aux services de santé et aux services sociaux en langue anglaise;
- La Feuille de route pour la dualité linguistique du Canada 2008-2013.
En faisant l’étude de ces lois et des programmes et en analysant les données rendues disponibles par Statistique Canada quant à la langue de la population, tout en nous référant à la littérature déjà existante sur la question linguistique au Québec, plusieurs constats s’imposent quant à la logique qui se dégage de l’encadrement juridique de l’offre de services. En effet, l’encadrement juridique de l’offre de service entraîne des effets sur l’architecture institutionnelle. C’est à ceux-ci que s’intéresse ce rapport.
Nous nous sommes intéressés plus précisément au fonctionnement du financement des pro-grammes facilitant l’accès aux services de santé et aux services sociaux en anglais au Québec. Il ressort de nos observations et de nos entretiens avec les agences de santé ainsi qu’avec plusieurs établissements de santé que ce financement provenait en majeure partie de Patrimoine canadien qui, par le biais de Santé Canada, subventionne le Réseau communautaire de la santé et des services sociaux (RCSSS) et l’Université McGill pour soutenir la vitalité de la minorité linguistique anglaise du Québec. Le circuit de financement fédéral sert une logique de concurrence des langues en totale contradiction avec les objectifs de la loi 101.