Le rapport Pronovost : un diagnostic partiel, une analyse tronquée
Le rapport de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, déposé le 12 février 2008, est paru sous le signe du refus de la complaisance. Il a été rédigé et présenté avec une liberté de ton qui a pour beaucoup contribué aux réactions qu’il a suscitées. Plaidant pour une réévaluation complète du rôle et le fonctionnement des principales institutions du modèle agricole québécois, le rapport s’est lui-même réclamé d’une certaine audace devant ce qu’il a présenté comme un système « en train de se refermer sur lui-même » et qui menace de s’écrouler sous le poids de ses propres outils. Aux dires des commissaires, les mécanismes mis en place au cours des années seraient en quelque sorte devenus contreproductifs, ils ankyloseraient le développement du secteur parce que leur application induirait des rigidités incompatibles avec les exigences de ce que les auteurs qualifient d’un « monde d’ouverture » sans trop préciser de quoi il serait fait. Ce que le Rapport Pronovost pose comme une évidence, c’est que ce monde exigerait flexibilité et souplesse, deux caractéristiques qui devraient inspirer la révision de l’arrangement institutionnel du modèle agroalimentaire. Le procédé est classique, en situant comme résistance au changement toute discussion touchant les orientations, le rapport Pronovost se drape dans une vertu dont il s’autoproclame le porteur et l’oracle.
Les choix passés concernant, entre autres, la mise en marché collective des produits agricoles ainsi que la reconnaissance d’un syndicat unique en agriculture ont représenté des décisions stratégiques prises par l’État québécois en lien avec des problématiques de développement dont il importe de se demander si elles ont encore cours. Le rapport Pronovost a évoqué ce contexte d’émergence, mais il n’a pas fait la démonstration que l’évolution actuelle du secteur agricole se situe dans une logique qui invalide les approches jusqu’ici déployées. Les décisions stratégiques prises au cours du 20e siècle par les acteurs du monde agroalimentaire l’ont été à l’intérieur de configurations économiques et réglementaires, dont ils devaient prendre acte et dont ils ont tenté de tirer parti. Les choix effectués ont permis à l’agriculture québécoise de négocier sa modernisation dans des conditions qui lui ont assuré un développement à plusieurs égards enviable.
Le présent travail va s’employer à démontrer que le rapport de la Commission repose sur une lecture partielle et inadéquate des principaux paramètres qui charpentent les défis actuels de l’agriculture québécoise. Le rapport Pronovost qui se veut rassembleur en pro-posant une vision renouvelée du modèle agroalimentaire québécois a le défaut de reposer sur un cadre stratégique qui néglige certaines des dimensions fondamentales des réalités et défis de l’industrie agroalimentaire d’aujourd’hui et des tendances qu’elle dessine. Ses lacunes touchent en particulier l’analyse des rapports entre les forces et les acteurs économiques qui façonnent le système agroalimentaire en voie d’émergence et de restructuration.