Transition du secteur énergétique - Amorcer une rupture
Les sociétés contemporaines sont confrontées à des défis sociaux, économiques et écologiques majeurs. Le plus récent rapport du Groupe international sur l’évolution du climat (GIEC) le confirme : malgré les traités, les conventions et les accords signés au cours des vingt dernières années concernant la réduction de l’empreinte écologique de l’humanité, aucune inflexion décisive n’a été donnée au modèle de croissance productiviste, qui s’étend désormais aux quatre coins de la planète. Fortement dépendant de l’utilisation des carburants fossiles, ce modèle énergivore et intensif en carbone est confronté à l’existence de seuils écologiques et climatiques critiques, dont le franchissement entraînerait de graves conséquences pour la biosphère et l’humanité.
L’énergie a été au cœur de toutes les révolutions industrielles, de l’âge de la vapeur (avec le charbon) à celle du pétrole puis du nucléaire. Et tout indique qu’elle restera au cœur de la prochaine révolution, dans la mesure où les sources énergétiques fossiles, qui ont alimenté jusqu’à aujourd’hui ces révolutions industrielles, posent la question fondamentale de la vie sur Terre. La prochaine révolution industrielle exige donc le passage du paradigme des énergies fossiles vers un paradigme énergétique sans émission carbone. Cette transition énergétique ne pourra pas se faire par de simples améliorations techniques incrémentales. Elle devra passer par des innovations de rupture, y compris des innovations sociales. Pour se libérer totalement des énergies fossiles, il faut faire appel à de nouvelles approches de maîtrise de l’énergie et prendre appui sur des ressources énergétiques telles que l’électricité renouvelable, les biocarburants et l’hydrogène.
La sortie des hydrocarbures devient une urgence. C’est dans ce cadre que nous publions ce rapport de recherche sur la transition du secteur énergétique au Québec en mettant une insistance particulière sur les enjeux de son financement. Dans les suites du rapport Lanoue-Mousseau et de son approche de la maîtrise de l’énergie, nous proposons un changement d’échelle dans la façon d’aborder l’orientation des politiques publiques en faveur d’une reconversion de notre économie vers des infrastructures énergétiques, des procédés et un mode d’organisation adaptés aux limites et aux capacités de nos milieux de vie. Même si la nouvelle politique énergétique du gouvernement du Québec présente des objectifs unanimement salués comme ambitieux, rien dans cette politique n’est proposé pour atteindre ces objectifs. Cela est d’autant plus préoccupant que le gouvernement fédéral semble vouloir continuer à imposer un modèle de développement fondé sur les énergies fossiles de l’Ouest. Or, selon le FMI, le coût de ce modèle de développement (subventions directes et coûts sociaux tels que congestion, accidents, entretien, etc.) s’élevait à 60 milliards $ en 2015 pour le Canada. C’est autant de moyens financiers détournés d’objectifs plus urgents, et alimentant les lobbys qui s’opposent au changement.
Dans ce rapport, nous proposons des mesures concrètes, précises et réalistes qui permettraient d’atteindre les ambitieux objectifs de la politique énergétique québécoise. Nous les examinerons en faisant nôtre l’approche adoptée par le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques (CEEQ), une approche qui doit faire du concept de maîtrise de l’énergie le concept fondateur du paradigme de la transition énergétique du Québec. Nous y ajoutons une volonté d’intégrer ces mesures dans des stratégies de développement industriel pour chacune des filières abordées. Elles doivent en effet être en phase avec des choix de politique industrielle conséquente, car le succès du développement de ces filières est indissociable du succès des entreprises et des organisations qui en feront des projets viables. Ces stratégies exigent donc des solutions intégrées et spécifiques à chaque filière, impliquant un engagement de toutes les parties prenantes. Par ailleurs, ces stratégies sont d’autant plus importantes qu’elles doivent en même temps permettre à l’économie québécoise de rester compétitive, ce qui implique que les énergies propres de remplacement doivent s’inscrire dans les exigences du marché et que les filières impliquées se positionnent toutes dans des stratégies concurrentielles continentales. Après avoir présenté, au chapitre 1, un état des lieux de l’énergie au Québec ainsi que nos cibles de production énergétique sur l’horizon 2030, nous formulons dans les quatre chapitres suivants nos propositions de transition et de financement pour quatre filières distinctes. Le chapitre 2 abordera tout d’abord les enjeux de la filière de l’efficacité énergétique en proposant, par exemple, des modifications et des ajustements au projet de la nouvelle agence Transition énergétique Québec (TEQ) de manière à pouvoir agir plus efficacement sur les secteurs du bâtiment, du transport et de l’industrie. Le chapitre 3 se penche sur la filière éolienne, qui présente actuellement des lacunes importantes, dont une formule de financement désavantageuse sur le plan de l’implication des communautés régionales. Le chapitre 4 traite des particularités de la filière de la biomasse forestière, dont le fort potentiel de développement économique local est trop négligé. Le chapitre 5 permet de clore nos scénarios spécifiques avec une série de propositions autour de la problématique complexe des biocarburants. Enfin, en conclusion, on trouve une récapitulation de nos scénarios de réglementation et de financement. Avec ce rapport, nous mettons un terme à notre programme de recherche sur le financement de la transition en présentant les mesures concrètes, et somme toute crédibles, qui permettraient d’atteindre des cibles ambitieuses de réduction des émissions carbone dans le secteur énergétique et sur la façon de les financer.