Transition énergétique et renouvellement du modèle québécois de développement
Ce rapport-synthèse sur les enjeux de politique industrielle vient faire le point sur les travaux que nous avons réalisés au cours des dernières années et sur les réactions et réflexions qu’ils sont suscités en divers milieux, en particulier dans le monde syndical. Plusieurs constats justifient, à nos yeux, cet exercice : d’abord celui qu’une certaine urgence s’impose pour aller au-delà de la politique actuelle, qui ne donne guère de fruits; ensuite, que des efforts substantiels s’imposent à court terme pour rendre les secteurs manufacturiers plus résilients avant l’inévitable retour de la « maladie hollandaise » (puisque rien ne semble avoir changé dans la stratégie économique canadienne envers les énergies fossiles); à ces constats s’ajoute la nécessité pour le Québec de maintenir sa capacité concurrentielle alors qu’un peu partout sur le continent les gouvernements ont lancé des stratégies de reconversion industrielle et plusieurs devancent désormais un Québec qui prend du retard; enfin, parce que le Québec et son gouvernement ont les pouvoirs, les moyens, mais aussi l’expertise pour mettre en œuvre une politique industrielle audacieuse.
La première partie du rapport dresse une revue de la littérature sur le renouveau des réflexions sur les politiques industrielles. Aux yeux de plusieurs spécialistes, le paradigme libéral, qui prône une politique industrielle du laisser-faire comme solution principale à la croissance, est impuissant — inefficace et inadapté — pour répondre aux défis que dresse le nouvel environnement social, économique et environnemental qui est le nôtre en ce début de 21e siècle. Pour nombre de spécialistes, les nouveaux enjeux imposent plutôt de revenir à des politiques industrielles plus ciblées, en misant sur la concertation et la contribution des divers acteurs socioéconomiques. Les travaux les plus marquants concluent que ces politiques doivent soutenir une reconfiguration du modèle de développement en faveur de grappes d’activités et d’innovations qui tiennent compte de ces nouveaux enjeux.
La deuxième partie du rapport revient sur les expériences québécoises de politique industrielle. Ce retour est important puisqu’il permet de rappeler qu’en ces matières le Québec a déjà occupé une place privilégiée et qu’il s’était donné des instruments qui ont prouvé leur efficacité. C’est notamment par leur caractère mobilisateur qu’ils avaient trouvé cette efficacité et leur pertinence. En cela, les expériences du passé récent et certaines des institutions alors mises en place demeurent une source d’inspiration pour penser une reconfiguration du modèle de développement. Les nouvelles approches de politique industrielle fondée sur les grappes ne sont vraiment pas éloignées de ce que le Québec avait entrepris et mis en place jusqu’à il y a peu. Un retour sur les initiatives mises en place par les partenaires du modèle québécois de développement, en particulier pendant les années 1990 avec les stratégies des grappes industrielles, de développement de la main-d’œuvre et de développement régional, suffira à faire voir que les décisions prises depuis 2003 (à l’exception du court passage du gouvernement Marois) ont renoncé à maintenir le cap sur ce qui plaçait le Québec dans le peloton des têtes en matière de politique industrielle performante.
La troisième et dernière partie du rapport, de loin la plus importante, aborde les diverses dimensions dont il faudrait tenir compte pour mettre en place une politique industrielle du 21e siècle au Québec : politiques horizontales et sectorielles, choix sectoriels et territoriaux, politique d’offre et de demande, dialogue social et gouvernance multipartite aux niveaux micro, méso et macro, politiques de la main-d’œuvre, de l’innovation et du commerce extérieur, et enfin stratégies de financement. Tout au long de l’exposé, nous nous sommes efforcés de présenter le projet global de transition vers une économie à faible émission carbone comme une occasion exceptionnelle pour redonner à l’économie québécoise une base manufacturière renouvelée et plus durable. Le choix du renouvellement des infrastructures — et en particulier celles liées au transport, à l’énergie et à l’habitation — représente l’un des éléments essentiels qui permettraient d’assurer une amélioration de la productivité et de la compétitivité de l’économie québécoise, et en particulier de son secteur manufacturier. Mais la transition ne se réduit pas aux questions relatives au simple agencement des moyens. Pour être pensée et déployée convenablement, la politique industrielle essentielle au succès de cette transition doit s’inscrire dans un cadre stratégique privilégiant une reconfiguration du modèle québécois de développement. En allant au-delà des volontés isolées et disparates, la politique industrielle à laquelle nous appelons pourrait, à sa mesure, protéger les entreprises et les emplois contre les effets néfastes de la financiarisation de l’économie ou contre les impacts de la « maladie hollandaise » générée par le modèle extractiviste, désormais le centre de gravité du modèle économique du Canada. Nous le répétons : le Québec a les pouvoirs, les moyens et aussi l’expertise pour mettre en œuvre cette politique. Le gouvernement peut regrouper les principaux acteurs économiques et financiers du Québec, créer une dynamique de concertation et obtenir une efficacité de croissance économique soutenable, tout en étant peu coûteuse à mettre en place pour l’État. Puisse le présent rapport apporter des matériaux utiles, stimuler la réflexion et contribuer à l’émergence d’une mobilisation qui dressera une feuille de route pour les prochaines années.