Trajectoires territoriales : acteurs et praxis en récits

La mondialisation de l’économie s’accompagne paradoxalement de la montée des territoires qui deviennent des forces de compétitivité engagées par les milieux politiques et économiques. Cette conjoncture instaure une vision de développement à l’échelle d’un territoire opérationnalisée par l’ingénierie territoriale avec un portefeuille d’instruments. La faisabilité de ce développement territorial, notamment dans les économies du Sud, intéresse tout autant la communauté scientifique que pratique. Cette thèse, dont l’objet est l’étude d’un processus d’un développement territorialisé, s’insère dans cette conversation, avec comme objectif de comprendre et de décrire ses acteurs, ses modalités et sa dynamique spatio-temporelle. Ce faisant, elle s’applique à aider les décideurs et praticiens territoriaux pour se prémunir des aléas de la conciliation modèle/contexte.

Cette étude de cas unique s’est effectuée dans la région de Vakinankaratra sur les Hautes Terres de Madagascar. Elle croise quatre théories : économie de proximités, économie des conventions, théorie de la structuration et capital social territorial assurant une théorisation enracinée sur des données issues de la triangulation de sources de nature qualitative : archives et documents officiels, observation non-participante (12 mois d’immersion au terrain d’observation), entrevues semi-dirigées (27), groupe témoin et entretiens informels. La méthode de trajectoire (moteurs, ingrédients, séquences et bifurcation) documente l’étude du processus et l’approche narrative interprète les discours enregistrés.


Sur le plan conceptuel, l’outil théorique construit est apte à expliquer l’articulation de trajectoire territoriale générée par d’innovations collectives dont les acteurs sont typifiés en deux classes : l’entrepreneuriat local et les acteurs du milieu. La proximité géographique et organisée permet à un collectif d’acteurs aux statuts différents et aux intérêts divergents d’interagir pour préserver un bien commun. Ces interactions, accélérées sinon stabilisées par l’enchevêtrement du temps long et tourbillonnaire, sont possibles grâce à des conventions résolvant les évènements conflictuels. La présence du capital social transcende les intérêts individuels pour réaliser une coordination située. La congruence de ces facteurs rend compte de l’effet milieu, c’est-à-dire la combinaison d’un cadre spatial localisé; d’une logique de coopération entre des petites, voire très petites, entreprises concurrentes mais en situation de coopétition; et d’une dynamique d’apprentissage se concrétisant par le changement collectif de comportements, duquel s’émerge un développement territorialisé et contextualisé.

Au niveau empirique, cette thèse est révélatrice d’une dynamique territoriale cristallisée autour d’une écologie tropicale d’altitude, capitalisée en tradition d’innovation et investie en tant qu’opportunité pour insérer, auprès du paysannat, une innovation technologique majeure (élevage bovin laitier) en lien avec une pratique séculaire locale (élevage de zébus). Ce nouveau contexte oblige un noyau d’entrepreneurs locaux à s’auto-organiser pour adopter de nouvelles habitudes et pour assimiler de nouvelles représentations afin de s’approprier l’innovation et de la convertir en innovation sociale c'est-à-dire une pratique partagée et reconnue par la communauté (savoir-faire laitier). Ce double mouvement territorial et entrepreneurial est stimulé par un milieu facilitateur. Dans sa matérialité, l’innovation se renouvelle entraînant le dynamisme de la région par la création de valeurs, d’entreprises et d’activités. Dans son immatérialité, elle libère des actions collectives et distinctives, qui sont constitutives de ressources territoriales par leur constructibilité et par leur intransférabilité. Dans la résolution des problèmes productifs inédits tel que le conflit entre le petit entrepreneuriat laitier et les agro-industries, le système d’acteurs fait preuve de solutions autoproclamées créant une capacité à maîtriser l’évolution du territoire donc significative d’un développement territorial, exprimé en implexe et modélisé par une configuration coconstruite.

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