L'agriculture et la foresterie dans l'Est-du-Québec : Matériaux pour préparer l'avenir

L’avenir de l’agriculture et de la foresterie dans les régions à faible densité démographique et éloignées des grands centres est une question qui revient périodiquement dans l’actualité depuis près de soixante ans. Dès que le Québec a cessé son mouvement d’expansion territoriale, au cours des années 1950, les débats ont surgi sur la viabilité des collectivités agricoles et forestières situées dans les foyers de peuplement récent. Ces débats ont opposé des conceptions divergentes du développement économique et territorial, qui se sont traduites par des réponses institutionnelles distinctes à donner à la situation de ces collectivités.

Les régions de l’Est-du-Québec, et en particulier le Bas-Saint-Laurent, ont été au cœur de ces débats. Confrontées à des projets de rationalisation économique de leur territoire au cours des années 1960, ces régions ont vu de forts mouvements de résistance populaire défendre une autre conception du développement rural. Ces mouvements ont été particulièrement importants dans les villages situés dans l’arrière-pays dont l’économie est forte-ment liée à l’agriculture et la foresterie. Ils ont fait valoir que les problèmes économiques qu’ils connaissaient relevaient davantage de la faiblesse des outils permettant de maîtriser leur développement plutôt que d’un manque de ressources naturelles, de compétences ou encore d’inventivité.

Ces collectivités ont proposé une conception du développement capitalisant sur le potentiel de leurs milieux, en énonçant une série de propositions visant aussi bien à consolider leurs bases démographiques qu’à permettre la relance durable de l’économie agricole et forestière. Le renforcement des mesures de soutien au revenu des agriculteurs, la mise en place d’une politique agricole facilitant le développement intégré des filières sur le territoire, le soutien à diversification des activités économiques des propriétaires-exploitants de lots forestiers, la création d’institutions régionales destinées à favoriser l’établissement de nouveaux producteurs : il s’agit là de quelques-unes de ces propositions, qui ont été défendues jusqu’à tout récemment par les mouvements sociaux ruraux.

Force est de constater que la plupart de ces propositions n’ont pas trouvé d’écoute. En l’absence de solutions de long terme en agriculture comme en foresterie, les problématiques de marginalité économique et de déclin démographique de plusieurs collectivités agricole et forestière de l’Est-du-Québec ont continué de s’intensifier. Contraints par la force des choses à composer avec des logiques contre lesquelles ils ne pouvaient lutter qu’avec des moyens inadéquats et insuffisants, ces milieux ont vu s’accélérer la dévitalisation de plusieurs de leurs collectivités par l’exode des populations de l’arrière-pays, l’abandon des fermes et la déprise agricole6. Certes, ces conditions n’ont pas empêché certains succès ni anéanti toute aspiration à une prospérité durable ; la mise sur pied des tables de concertation du secteur agroalimentaire dans les régions de l’Est-du-Québec a mis en évidence l’existence d’un dynamisme territorial renouvelé. Mais la dégradation de ces conditions a contraint des initiatives privées et collectives à se développer à un rythme beaucoup trop lent pour leur potentiel et, surtout, à une vitesse qui ne leur a pas permis de compenser par leurs bienfaits les effets déstabilisants de la marginalisation économique de plusieurs localités.

Ainsi, si l’agriculture et la foresterie dans l’Est-du-Québec présentent encore de bonnes performances économiques et disposent d’importants ancrages territoriaux, elles font cependant face à des défis importants. Le premier d’entre eux a trait à la détérioration, dans certaines localités aux prises avec la dévitalisation, des conditions de réalisation du potentiel agricole et forestier. La dispersion spatiale progressive des établissements, la diminution du panier de services, l’explosion du prix des actifs fonciers dans certaines localités, l’absence de volonté politique en matière de soutien aux petits et moyens producteurs ainsi que l’intensification des contraintes liées à l’éloignement des grands centres constituent autant d’effets déstabilisateurs pour les producteurs. Déjà aux prises avec les risques d’entreprise propres à leurs productions, ces producteurs sont de plus en plus confrontés aux effets délétères des réalités sociodémographiques. Le second défi est afférent au premier : la faiblesse des mesures d’intervention publique pour redresser la situation des collectivités agricole et forestière de l’Est-du-Québec ont accru les difficultés liées à la reproduction du modèle des fermes détenues par les propriétaires-exploitants. En fait, la dévitalisation économique et la décroissance démographique vécue par certaines localités, couplées à la faiblesse des mesures d’intervention des pouvoirs publics pour soutenir le développement des productions agricole et forestière, ont contribué à éroder le potentiel attractif des régions de l’Est pour la relève. Avec la diminution des services offerts dans certaines municipalités rurales, l’attraction et l’installation de nouvelles familles deviennent de plus en plus difficiles, contribuant du même coup à affaiblir le tissu d’établissements agricole et forestier qui constituaient auparavant la base économique de ces collectivités. Dans la mesure où l’agriculture et la foresterie privée ont occupé une place réduite dans la démographie et la structure économique de la ruralité, leurs enjeux de développement se trouvent de plus en plus tributaires des déterminants territoriaux qui façonnent plus qu’ils ne dépendent de la vitalité intrinsèque des entreprises dans leur milieu.


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L'ITALIEN, François, David DUPONT et Robert LAPLANTE (2017). L'agriculture et la foresterie dans l'Est-du-Québec : Matériaux pour préparer l'avenir, Rapport de recherche de l'IRÉC, avril 2017

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