Ce mémoire a comme toile de fond une succession de débats publics acrimonieux et mouvementés au sujet des fondements de la théorie des jeux. Ceux-ci ont lieu en 1996 et mettent en scène deux importants théoriciens des jeux, Robert Aumann et Kenneth Binmore. Robert Aumann est un théoricien des jeux éminent, actif dans le domaine depuis la fin des années 1950. À partir des années 1970, il révolutionne l’examen des fondements épistémiques de la théorie des jeux. Il apporte aux questions traitant de connaissance, de connaissance commune et de rationalité, des réponses inspirées de la théorie de la décision bayesienne. Ses modèles ne tracent pas de distinctions normatives entre les diérents équilibres qui peuvent être atteints durant le jeu; ils décrivent le type d’équilibres dont pourrait témoigner un observateur extérieur une fois le jeu terminé, étant donné les conditions épistémiques dont sont dotés les joueurs au début du jeu. Kenneth Binmore est un théoricien de haut calibre et également un critique persistant, auteur de plusieurs textes ‘méthodologiques’. Insatisfait d’une théorie des jeux traditionnelle qu’il attaque sans répit, il cherche à convaincre ses collègues de se tourner vers la naissante théorie des jeux évolutionnistes. Il fait ceci tout en insistant auprès des chercheurs des diérentes sciences sociales, surtout les philosophes de la politique, que la théorie des jeux doit constituer l’échafaudage logique qui unifiera leurs domaines respectifs. Deux filons importants parcourent les ouvrages qui semblent dispersés de Binmore. Le premier est un souci pour les procédés qui mènent aux décisions; les mécanismes de la rationalité. Le second s’attarde aux formes primitives de ces procédés; les cas où les forces de l’évolution se révèlent importantes.
En examinant de près les travaux de ces deux auteurs dans le champ du fondement de la théorie des jeux, ce mémoire tente de transcender et d’expliquer le semblant de confusion qui règne dans les échanges où ils affrontent. En recréant et en contrastant les trajets que les auteurs suivent jusqu’à leurs confrontations, en expliquant et en élucidant les questions que celles-ci évoquent, on dépasse rapidement le cadre de la théorie des jeux. Les préjugés philosophiques et intuitifs des auteurs prennent dès lors beaucoup d’importance. Ce mémoire nous confronte à la place primordiale qu’occupent des tendances psychologiques plus profondes dans la compréhension des contributions théoriques de ceux qui créent la science, même lorsque celles-ci sont très techniques et mathématisées. Le rôle et les méthodes de la science, l’importance et le maniement ‘correct’ des mathématiques dans la théorie des jeux, la forme et la nécessité du rapport à l’expérimentation et à l’empirique; les idées qu’entretiennent Binmore et Aumann sur ces questions pèsent lourdement dans un débat qui, à certains égards, peut sembler être préoccupé de points précis.