ÉTHIQUE ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE : LE DISCOURS DES DIRIGEANTS SUR L'ENVIRONNEMENT

Depuis les trois dernières décennies, les sociétés ont pris conscience de la menace d’une dégradation irréversible des écosystèmes. Plusieurs initiatives ont été mises de l’avant pour tenter de solutionner une problématique dont l’ampleur et la complexité ne cessent de s’accroître. Mais ces initiatives ne suffisent pas car selon plusieurs, c’est l’organisation sociale et le système économique lui-même qui induisent une utilisation abusive de l’environnement. Les économistes de l’environnement proposent donc un réaménagement théorique et pratique de l’économie qui permette une adaptation des systèmes productifs aux limites de la biosphère. Sans négliger l’importance des réaménagements proposés par les économistes, nous arguons dans cette thèse que les formes de la modernisation écologique des institutions économiques seront déterminées par la dynamique sociale. Comme l’expliquent les Régulationnistes, le système économique est enchâssé dans une dynamique sociale qui le précède et le façonne. Alors que pendant les périodes de stabilité économique, la conflictualité des rapports sociaux est contenue dans les mécanismes de régulation, celle-ci éclate au contraire dans les périodes de grande crise, ouvrant la voie à de nouveaux compromis sociaux susceptibles de donner forme à de nouvelles configurations du système économique. Ce cadre théorique permet de comprendre que la modernisation écologique n’est pas qu’une question technique, et qu’elle suppose la conclusion d’un compromis entre acteurs sociaux antagoniques quant à sa forme et à ses modalités. L’idée de compromis suggère que les acteurs sociaux dominants sont en mesure d’imposer un dispositif conforme à leurs intérêts, mais reconnu comme légitime par les autres acteurs sociaux. En nous inspirant du cadre actionnaliste proposé par Touraine, nous avons cherché à entrevoir le dispositif que pourraient mettre en place les acteurs dominants dans le cadre d’une société post-industrielle écologique. Pour ce faire, nous nous sommes penchés sur le discours des dirigeants afin de saisir les représentations sociales de l’élite économique dans la société post-industrielle en vue de comprendre d’une part, le paradigme sociétal en émergence, et d’autre part, d’entrevoir les voies possibles d’un compromis entre cette élite et le mouvement écologiste. Nous avons tout d’abord démontré que l’environnement et le développement durable constituent désormais des éléments de l’historicité car ils sont reconnus comme des enjeux objectifs par les dirigeants et agissent désormais comme principe de totalité. De plus, nous avons établi que le paradigme industriel dominant est en mutation profonde. Les dirigeants reconnaissent l’existence de limites écologiques en vertu desquelles il est nécessaire de baliser le développement économique et dissocient le bien-être économique d’un bien-être défini en termes écologiques. Toutefois, le paradigme sociétal en émergence comporte également d’importantes continuités avec le paradigme précédent au chapitre du schéma de consommation et de la croissance économique. En plus d’étudier le positionnement des dirigeants par rapport à la question écologique, nous avons étudié la configuration générale du paradigme sociétal des dirigeants dans ses composantes économique et politique. Nous concluons que les dirigeants perçoivent l’entreprise comme une entité fonctionnelle productrice de richesses qui doit œuvrer en partenariat avec l’État dans le but de profiter du nouveau contexte de la mondialisation. L’État pour sa part, voit son rôle transfiguré par le contexte de la mondialisation; de moins en moins apte à opérationnaliser un projet de société territorialement ancré, il s’insère dans le projet global d’une économie mondialisée dont il doit tenter de tirer profit en appuyant ses entreprises nationales sur les marchés extérieurs. En regard du paradigme sociétal des dirigeants, il appert que certaines voies de la modernisation écologique envisagées par les économistes de l’environnement sont moins probables que d’autres. Si elles sont supportées par plusieurs courants écologistes, les thèses de l’économie stationnaire et de la simplicité volontaire pourront difficilement faire l’objet d’un compromis avec une élite dont le dispositif est fondé sur la croissance et la consommation. Par contre, il est possible d’envisager une transformation du type de consommation qui, couplée à une désintensification écologique de la production par la technologie dans certains secteurs et à un transfert des coûts écologiques vers le sud dans d’autres secteurs, pourrait correspondre à une stratégie simultanée de dématérialisation et d’internalisation des coûts poussée à la fois par les groupes de pression, les gouvernements nationaux et un ordre écologique international en émergence.

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