Alors que de multiples compressions ont eu des effets négatifs sur le système public, illustrant la « rigueur budgétaire » du dernier mandat libéral au Québec, nombreuses sont les pratiques permettant à plusieurs citoyens pourtant très bien nantis d’échapper légalement au fisc. Parmi celles-ci se trouve une stratégie fiscale relativement récente et de plus en plus utilisée: l’incorporation des professionnels. Ce mémoire, qui s’inscrit dans une perspective d’éthique sociale et économique, vise à remettre en question cette pratique fiscale d’un point de vue moral.
Pour ce faire, nous soulignons d’abord les inégalités fiscales évidentes découlant d’un traitement différencié accordé aux professionnels. Comprenons, pour le dire simplement, que les avantages fiscaux liés au statut légal de l’incorporation sont pratiquement inaccessibles à plusieurs entrepreneurs prenant un réel risque financier dont la rémunération est de loin inférieure à une majorité de professionnels pouvant s’incorporer. Or, de telles inégalités posent des problèmes d’équité substantiels, lesquels sont abordés en deuxième partie de ce mémoire. En effet, en permettant l’abaissement du taux effectif d’imposition chez des professionnels bien situés dans l’échelle socio-économique, l’incorporation contrevient notamment à des principes de capacité de payer et à son interprétation possible du sacrifice égal. Enfin, dans la troisième partie de notre projet axée sur une perspective de justice distributive plus largement construite, nous remettons en question la position gouvernementale s’appuyant sur le principe de différence du philosophe John Rawls et son argument des incitatifs économiques. Nous soulignons, d’une part, qu’une telle justification laisse place à de larges inégalités et est révélatrice d’une société dans laquelle s’opère une brèche dans la condition élémentaire de communauté. D’autre part, nous soutenons que cette position va à l’encontre d’un ethos égalitariste que devraient promouvoir les citoyens et le gouvernement en respect au principe de différence et que, selon ce point de vue, permettre l’incorporation revient à cautionner une forte injustice.