L'appropriation sociale de l'alimentation au sein d'un projet de mise en marché socialement différenciée

Ce mémoire de maîtrise porte sur l’émergence d’un nouveau rapport à l’alimentation au Québec, tel qu’il s’inscrit dans une forme économique alternative à la mise en marché fondée sur l’offre et la demande des denrées issues des industries agroalimentaires, et qui prend la forme d’une mise en marché différenciée mettant directement en lien des producteurs et des consommateurs afin de promouvoir l’économie locale. La transformation rapide des régimes alimentaires (les produits consommés, les lieux de la consommation, les significations sociales attribuées à la fonction alimentaire, etc.) et l’évolution du marché caractérisé par une industrialisation croissante et aussi par une forte diversification des produits, ont donné lieu à d’énormes bouleversements dans le marché de l’alimentation. La réalité de ces transformations a mené des groupes de consommateurs à établir de nouveaux critères empiriques permettant d’établir la valeur des produits et la constitution de nouvelles pratiques alimentaires. Nous étudions ici l’appropriation sociale des aliments dans le cadre de l’expérience sociale de personnes participant à un projet de mise en marché différenciée : l’Agriculture soutenue par la communauté (ASC). En dernière instance, nous nous intéressons au rapport entre les formes sociales et la reproduction de l’existence humaine, dans la suite du projet proposé par M. Godelier. À cet égard, la présente recherche démontre que le rapport de consommation à l’alimentation est un point de vue privilégié pour saisir les modalités d’expression d’un rapport au monde à travers l’étude de la constitution de nouvelles formes d’objectivation sociale de la valeur des aliments. Il s’agit d’une étude des activités de consommation en termes sociologiques, au sens premier où ces activités sont décrites comme relevant de logiques sociales que le travail d’analyse a pour but de mettre en évidence. À la suite des travaux d’Halbwachs et de chercheurs en sociologie de l’économie, notre thèse centrale est que la consommation est une activité construite socialement et qu’elle est le mieux étudiée grâce à la description et l’analyse de l’appropriation quotidienne des objets à travers l’échange et l’usage des aliments, posés comme moments de la formation de la valeur des biens. Dans l’ordre d’une méthodologie qualitative de recherche, la construction des matériaux s’est principalement effectuée sur la base d’entrevues à structuration ouverte. Le travail d’analyse nous permet de poser que les pratiques alimentaires étudiées s’élaborent comme pratiques sociales visant la prévention de la santé et s’inscrivent dans la constitution d’une continuité de la vie sociale, notamment par un réinvestissement de la sphère domestique. Déconstruisant la valeur des aliments issus de l’économie alimentaire de marché par des pratiques d’information complexes, les personnes rencontrées reconstruisent la valeur des aliments au sein de leur pratiques de consommation alimentaire au sein des projets d’ASC. L’analyse démontre que la construction sociale de la valeur des aliments ne se résume pas à l’appropriation des médiations sociales propres à la production, mais s’inscrit également dans les relations sociales constitutives de l’échange et de l’usage des aliments. Nous avançons ici que la valeur des aliments obtenus dans le cadre d’un projet d’ASC est reconstruite à la mesure de logiques sociales d’appropriation des pratiques alimentaires s’articulant à partir de valeurs absolues (idéologie politique et spirituelle), de valeurs relatives (ré-introduction de la forme économique marchande) ou de valeurs reconstruites à travers des médiations de l’ordre du vivant (la forme de la circulation des aliments en redéfinit leur valeur).

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