LA GESTION STRATÉGIQUE DES LOGIQUES SOCIALES DU CHANGEMENT

Comment le changement organisationnel d’origine endogène au système social d’une entreprise peut-il définir les paramètres d’une capacité concurrentielle d’une firme en termes d’innovation technologique ou de changement organisationnel et de management? Plus particulièrement, quels sont les facteurs nourrissant le changement permanent d’une organisation et comment assurent-ils un avantage compétitif? Enfin, quel rôle est attribuable aux modes de gestion et d’interaction qui influencent cette capacité de réaliser des changements stratégiques? Compte tenu de ce contexte général pour notre projet de recherche exploratoire, nous avons plus particulièrement cherché à comprendre les causes profondes du phénomène de changement des organisations générées par les logiques sociales de l’organisation. Cette thèse s’inscrit dans une approche constructiviste et évolutionniste. Le caractère interactionniste de notre recherche implique que les facteurs d’évolution d’une organisation émanent des logiques sociales d’interaction et de négociation plutôt que d’une simple adaptation des comportements organisationnels à des forces turbulentes de l’environnement économique et social de la firme. Nous postulons qu’il existe un processus co-déterministe entre la firme et son environnement, mais nous limitons notre investigation aux dynamiques sociales internes à l’organisation. La littérature en management a traditionnellement abordé le changement sous l’angle de la recherche d’efficacité et des meilleures pratiques de gestion. Plus récemment, un courant alternatif aborde le changement sous l’angle de l’auto-organisation (Dupuy 1982, Morgan 1989) pour en comprendre une dynamique relativement autonome et dont la finalité peut être différente du seul but économique. Plus intéressant encore se trouve l’étude d’un phénomène sous-jacent à l’auto-organisation, c’est-à-dire l’autoproduction. Toutefois l’autoproduction a été très peu explorée pour comprendre le changement et l’innovation dans les firmes. Pourtant, l’autoproduction présente la dynamique autodéterminante d’une organisation. Nous croyons qu’elle constitue une inspiration à la modélisation conceptuelle valable pour notre recherche afin de comprendre le rôle encore peu connu du management et des logiques sociales cachées des organisations. La littérature philosophique présente une gamme de logiques sociales soumise à la quête du progrès où interviennent la nature de l’homme, les institutions et les grandes utopies de sociétés idéales. Nous relevons deux grandes voies, la notion de contrat social et de lien social. Nous en avons conçue une typologie. Nous devons tenir compte du fait que ces philosophies ont été élaborées dans le cadre des sociétés Occidentales et non dans le but de l’étude scientifique du changement dans les organisations exigeant une adaptation lors du transfert en sciences de la gestion. Enfin, la littérature économique présente ses plus récentes thèses sur l’évolution en traitant du phénomène d’innovation sous l’angle des dynamiques d’interactions sociales. Toutefois, cette littérature se concentre soit dans les laboratoire d’innovation technologique (Callon 1989, Latour 1987, Bijker et Law 1992) ou dans l’ensemble de la société (Vinck 1995, de Bresson 1987). À l’instar de Bignetti (1999), nous voulons l’appliquer à l’étude de l’organisation. Notre sujet de recherche porte sur les logiques sociales de l’organisation informelle de la firme. Notre question de recherche s’établit ainsi : quelle est la morphologie des modes particuliers des logiques sociales susceptibles de générer du changement endogène à la firme. Notre objectif consiste à décrire les logiques sociales de mode d’interaction de l’organisation pour en révéler leur morphologie et d’identifier en quoi elles peuvent être susceptibles de générer ce changement de source endogène. Pour comprendre le phénomène proposé et pour réaliser cette recherche exploratoire, nous avons adopté une méthodologie interprétative et qualitative. Nos données proviennent de quatre cas d’entreprise afin d’étudier le phénomène dans le cadre de l’organisation. Toutefois, pour des raisons de complexité d’objet d’enquête, nous nous sommes limités à un seul établissement par entreprise. Ainsi, les deux petites entreprises sont entièrement étudiées alors que les deux grandes entreprises sont limitées par l’étude d’un seul de leurs établissements. L’analyse qualitative s’est produite en dialogue entre les données empiriques et notre cadre conceptuel inspiré de notre revue de littérature. Nous présentons une synthèse détaillée des données recueillies dans les quatre entreprises. Nos résultats nous offrent une étude des logiques sociales à travers les contrats et liens sociaux. Ces logiques sociales nuancent les travaux en management qui expliquent que la dynamique organique est plus innovatrice que le dynamique mécaniste. Notre conclusion porte sur l’originalité même de la valeur de la relation entre les contrats sociaux tacites et le lien social de l’organisation. Nous avons pu constater combien les différentes constellations de contrats sociaux nous permettent d’induire la dominance du lien social dans ses manifestations empiriques. La nature de ce lien social indique alors le rôle de cette dynamique des logiques sociales entre les contrats et la fonction de l’identité de l’entreprise. Ce lien social traverse toutes les dimensions de l’organisation en mutation parce qu’elle se trouve dans l’expérience que chaque individu fait de cette entité collective immanente et transcendante en tant qu’un tout. À notre surprise, nous avons constaté qu’il n’était pas possible de faire un lien direct entre contrats sociaux individualistes et lien social libéral, voire des contrats sociaux collectivistes et le lien social déterministe. Le lien social nous offre une dimension plus nuancée sur le système d’interprétation des personnes dans leur expérience de liberté créatrice à la contribution du dynamisme stratégique de la firme ouvrant ainsi sur la complexité des systèmes sociaux. Les dirigeants semblent jouer un rôle codéterminant dans l’évolution de l’entreprise. En somme, cette recherche met en lumière comment et pourquoi certaines entreprises peuvent être plus dynamiques dans leur capacité à générer du changement. En fait, au-delà des outils de gestion les plus sophistiqués, les logiques sociales fondatrices de l’organisation prédisposent à une telle agilité stratégique. La création de ces logiques sociales nous est inconnue, mais il est forcé de constater que ces logiques sociales semblent être reliées à l’ensemble des choix de gestion passés et présents tout en transcendant ses dirigeants.

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