L’amélioration des processus dans les établissements de santé est un défi. Au cœur de ce défi se trouve la résistance des cliniciens, plus particulièrement des médecins. Pourtant, leur participation au changement ne peut être ignorée. En effet, l’établissement de santé présente des particularités dont une structure clinique, un leadership collectif et une gestion complexe des opérations qui donnent aux cliniciens la possibilité d’impliquer leur expertise dans les décisions organisationnelles, même s’ils ne possèdent pas de rôle dans la structure hiérarchique.
Devant cette difficulté de comprendre l’amélioration des processus au sein des établissements de santé, qui semble reliée aux enjeux stratégiques des acteurs, nous proposons la combinaison de deux cadres théoriques, soit celui de l’analyse stratégique de Crozier et Friedberg (1977) et celui de l’analyse des routines organisationnelles de Feldman et Pentland (2003) afin de situer le lien entre le pouvoir et l’acteur dans la pratique. Nous avons donc entrepris d’explorer la dimension informelle existante au sein des établissements de santé. Notre question de recherche visait la compréhension du microcontexte politique et son impact sur l’amélioration des processus. Nous avons effectué des observations filmées, des modélisations graphiques, des entrevues et une analyse hypothéticodéductive via des sociogrammes reflétant les interactions entre les acteurs. Cette thèse présente notre étude qualitative d’un cas avant et après l’implantation d’un projet d’amélioration des processus «Lean ». Dans le cadre de ce projet, nous avons ciblé la routine chirurgicale au sein du bloc opératoire.
Notre recherche permet d’élaborer un cadre conceptuel qui raffine notre compréhension des expériences d’amélioration des processus. En effet, les règles, les références de pratique et les perceptions multiples, de même que les perturbations, les brèches et les difficultés de communiquer réduisent la capacité de la structure formelle de l’établissement de santé de définir le cadre de l’action en créant un flou, une zone d’incertitude sur le «quoi faire» et le «qui a fait quoi». De plus, la documentation limitée de la routine chirurgicale réduit les possibilités de juger des conduites, ce qui augmente d’autant plus la marge de manœuvre dont certains groupes d’acteurs peuvent alors disposer pour mieux se positionner. En effet, les acteurs n’agissent pas qu’en fonction des limites que l’organisation leur impose ou en fonction de leurs idéaux; ils agissent aussi stratégiquement en évaluant les actions qui leur donnent plus de pouvoir dans le système d’actions qui se met en place informellement dans cette zone de flou. Il se crée donc d’abord une dynamique externe en lien avec les relations des professionnels avec les gestionnaires, où il se négocie une certaine flexibilité dans l’autonomie en échange de ressources. Celle-ci est toutefois tributaire d’une autre dynamique : la dynamique interne qui se joue en salle. Celle-ci permet aux professionnels de négocier les limites de leur profession, leur légitimité, la reconnaissance de leur statut et leur rôle de décideur en échange d’informations et de connaissances. C’est cette dynamique qui leur donne le pouvoir de négocier avec les gestionnaires. Lorsqu’une démarche de transformation est proposée dans l’organisation, les changements implantés qui semblent persister sont ceux qui contribuent à renforcer le microcontexte en place ou les idéaux des acteurs, si l’impact est mineur sur leur positionnement politique.
Mots clés : Microcontexte politique, acteur stratégique, routines organisationnelles, pouvoir, enjeux, changement, amélioration des processus, professionnels, établissement de santé.