Cette recherche s’inscrit dans le champ de la gestion du changement et met en scène le changement organisationnel majeur vécu dans le Mouvement Desjardins de 1994 à 2004, à savoir la réingénierie des caisses, les fusions et les regroupements de caisses, ainsi que les fusions des fédérations dans une fédération unique. Dans ce domaine d’expertise, force est de constater que les concepts du temps et du pouvoir sont demeurés à ce jour peu explorés. En effet, bien que reconnus comme des phénomènes implicites au changement organisationnel, très peu d’auteurs ont tenté d’en expliciter les tenants et aboutissants. Pour décrire, voire expliquer le changement, le temps constitue un bon fil conducteur car c’est bien autour de lui, de son objectivation, de sa régulation ou de son accélération que se structurent les rapports sociaux du travail et de la gestion. Au mieux, dans la littérature sur le changement, réfère-t-on au temps de manière indirecte par le biais d’expressions telles que l’évolution, la continuité/discontinuité, le cycle de vie ou, encore, les phases, la dynamique, le processus du changement. Quant au pouvoir, certains de ses éléments sont associés à de nombreuses théories du changement. Toutefois, bien que beaucoup de ces théories s’inscrivent plus ou moins clairement dans sa logique, les travaux y référant ne font pas état d’une théorie du changement organisationnel entièrement politique.
Après les constats des limites de la littérature sur les fondements du pouvoir et du temps dans la gestion du changement, constituant le chapitre un, la question suivante est donc posée : Dans un contexte organisationnel où les efforts de rationalisation côtoient des efforts d’humanisation, de quelles façons le temps et le pouvoir s’inscrivent-ils dans la dynamique d’un changement organisationnel ? Puis, dans le chapitre deux, un modèle conceptuel exploratoire qui formalise le temps et le pouvoir comme dispositifs mémoriels et ses logiques d’action estélaboré. Dans le chapitre trois, après avoir rappelé les questions fondamentales au cœur de notre recherche, suit la présentation du cadre méthodologique, comprenant la justification du choix du cas de gestion du changement organisationnel – le cas du Mouvement Desjardins - et la méthode de collecte des données choisie, à savoir, une recherche documentaire et des entretiens semi-directifs auprès de dirigeants élus et de directeurs généraux de caisses ainsi qu’avec des gestionnaires de la Fédération. Est également présentée la matrice de codification et d’analyse des données. Le chapitre quatre contient deux parties. La première découle de l’analyse des documents collectés et fait ressortir les particularités historiques, structurelles, juridiques et culturelles des coopératives, plus particulièrement, celles des caisses Desjardins, à partir des dimensions du cadre conceptuel de la gestion du changement. Puis, la deuxième partie est consacrée à l’analyse des données collectées au cours des entretiens et à l’interprétation des résultats en mobilisant le cadre conceptuel.
Ainsi il ressort qu’au niveau du concept du temps, celui-ci se matérialise à travers les règles, les structures, les interactions et la culture organisationnelle qui constituent des mémoires-relais à l’efficacité des actions du changement organisationnel. Il est décrit comment le gestionnaire ou l’agent du changement doit assurer plusieurs synchronicités des personnes et des choses dans la mise en place effective du changement planifié. En effet, l’étude révèle que l’activité collective doit être régulée à travers des stratégies de régularités temporelles. Par ailleurs, au niveau du pouvoir, parmi ses interrelations possibles avec les actions du changement, c’est la modification politique des règles du jeu de l’action collective qui en explique la réussite présumée. Ces règles du jeu, modifiées arbitrairement ou démocratiquement par des instances politiques, sont susceptibles de venir bousculer les valeurs collectives. Les résultats de la recherche montrent également qu’en période de changement, les acteurs vivent des transitions où toutes les règles ne sont pas encore précisées et où apparaissent des zones d’incertitudes. À ce moment, se développent, selon les ressources et les contraintes des acteurs, des jeux de pouvoir dont les enjeux de l’action du changement concernent la satisfaction d’intérêts tant individuels que collectifs.
À partir de ces résultats, au chapitre cinq est ensuite proposé, dans la perspective d’une intention de gestion du changement tenant compte du temps et des personnes, que soit mise en œuvre une régulation démocratique autour de la négociation de règles de l’action individuelle et collective et dont l’enjeu reste cette incorporation de la démocratie organisationnelle au sein de ces règles par une mobilisation systématique des dispositifs mémoriels, seuls porteurs des idéaux identitaires et liants incontournables à la réussite d’un projet de changement tel que celui observé dans le cas étudié. S’en suit une discussion sur le pouvoir du temps sur l’organisation et la gestion du changement et sur l’idéal des organisations coopératives : la démocratie. Et ce constat : l’espace de discussion autorisé par les valeurs démocratiques ouvre la porte aux interactions et aux négociations temporelles et politiques du changement.
En conclusion, il ressort ainsi que la contribution principale de cette recherche porte sur les possibilités qu’offre une gestion démocratique du changement, qui fait d’abord et avant tout appel à l’inestimable mémoire de l’organisation, par son histoire et sa culture, et celle de ses acteurs, pour les éduquer à l’autonomie et au pouvoir démocratique et, finalement, institutionnaliser un pouvoir partagé, fondement premier de l’action managériale du changement dans une organisation coopérative, afin d’assurer la juste synchronicité des personnes et des choses dans un équilibre économique et humain, au travers des tensions de rationalisation et de subjectivation.