L’État-providence soutient qui et comment ? Le logement des ménages à revenu modeste dans trois provinces canadiennes, 1975-2015

Bien qu’elles soient peu étudiées, les politiques provinciales de logement ont subi plusieurs changements fondamentaux depuis l’époque des Trente Glorieuses. Ces changements portent sur qui reçoit l’aide gouvernementale et comment cette aide est dépensée. Toutes ces modifications soulèvent des questions cruciales pour notre compréhension de l’État-providence. La thèse examine la similarité des politiques de logement destinées aux ménages à revenu modeste en Colombie-Britannique, en Alberta et au Québec. Cette ressemblance est particulièrement intéressante après le désengagement du gouvernement fédéral au milieu des années 1990. Elle s’articule autour de trois changements fondamentaux : 1) l’aide est surtout canalisée vers les ménages en situation vulnérable ; 2) les nouvelles unités de logement social/abordable se réalisent essentiellement à travers les organismes sans but lucratif du tiers secteur et non plus sur le modèle des habitations à loyer modique (HLM) appartenant à l’État ; 3) les mesures axées sur le marché locatif privé (allocation-logement et supplément au loyer) sont beaucoup utilisées.

Comment et pourquoi les provinces ont-elles décidé de formuler des politiques de logement semblables ? Ces trois provinces sont pourtant connues pour avoir des approches distinctes en matière de politiques sociales. À partir du matériel obtenu dans les archives et à travers des entrevues avec des personnes clés, notre analyse démontre que les trois changements fondamentaux dans les provinces sont le résultat de l’interaction de deux processus. Le plus important est le processus de puzzling et ses deux mécanismes d’apprentissage (social et instrumental) qui permettent de comprendre qu’en contexte de resserrement budgétaire, les décideurs aient fait le choix difficile de cibler les personnes plus vulnérables selon le principe d’équité, puis de se détourner du modèle HLM appartenant à l’État pour des raisons d’efficience. Les administrateurs des trois provinces ont davantage financé le logement sans but lucratif possédé par les groupes du tiers secteur et misé sur les instruments axés sur le marché locatif privé pour les avantages économiques et non économiques de ces formules. Cependant, le processus de puzzling rencontre le processus de dépendance au sentier et ses deux mécanismes (rétroaction des politiques publiques et rendements croissants) dans la prise de décision. Ces deux mécanismes liés à la dépendance au sentier aident à comprendre pourquoi les subventions aux groupes du tiers secteur ainsi que le recours aux allocations-logement et suppléments au loyer, qui avaient débuté avant le repli fédéral, se sont poursuivis. Les changements fondamentaux à propos des instruments utilisés s’inscrivent donc dans une certaine continuité.

Outre notre contribution empirique découlant de l’étude de la politique de logement dans trois grandes provinces des années 1970 aux années 2010, la thèse développe un cadre analytique autour de l’apprentissage et de la recherche permanente d’une meilleure utilisation des ressources limitées. Ce cadre d’analyse mécanistique permet de mieux comprendre la prise de décision des gouvernants, entre les forces d’innovation et de continuité, avec l’objectif de maximiser le bien-être au moindre coût possible pour l’État. Basé sur les prémisses de l’économie du bien-être, ce cadre analytique s’appuie sur l’évaluation coûts-bénéfices traditionnelle en lien avec l’efficience, en intégrant l’aspect normatif de l’équité.

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